Passions baroques, du début à la fin, à Montauban

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C’est l’intitulé du 6e festival qu’organisait en cette année incertaine l’Ensemble Les Passions, orchestre baroque de Montauban, qu’anime Jean-Marc Andrieu. Du 3 au 11 octobre, se sont succédés concerts, récital, animations, masterclasses et conférences, sous les formes les plus variées et dans les cadres les plus appropriés. Ainsi, emblématique, l’ancien Palais épiscopal qui surplombe le Tarn, devenu Musée Ingres Bourdelle, du nom de ses deux artistes les plus illustres, accueillait-il Sylvie Bouissou, spécialiste du baroque et de Rameau en particulier, en dialogue avec Florence Viguier-Dutheil, conservateur en chef du patrimoine et directrice du musée, et le chef des Passions (le 8 octobre). Suivait un concert centré sur l’aboutissement de cette riche période, avec des œuvres de Carl Philipp Emanuel Bach, de son frère cadet, Johann Christian, et de Mozart. Gilone Gaubert au violon et Elisabeth Joyé au clavecin peinent à donner toute leur expression aux premières sonates de leur programme. La lecture en paraît sage et appliquée, particulièrement pour la Sonate en ut mineur Wq 78 de Carl Philip Emanuel. La richesse expressive de l’opus 16 n°1 de Johann Christian n’est pas mieux traduite. Si la rondeur, la chaleur du timbre du violon séduisent, le clavecin, appliqué, demeure en-deçà. L’arioso suivant, du premier, ne valorise pas assez les changements de plans. Ce n’est qu’à partir de la désuète et touchante toute première sonate de Mozart (K 9, en sol majeur), que les musiciennes trouvent pour partie l’esprit attendu. Celle de CPE Bach, plus ambitieuse, avec son finale empruntant à la sicilienne, nous réconcilie avec les interprètes. Elles confirment enfin leur savoir-faire dans le bis adressé à un public chaleureux : une autre sicilienne, celle qui ouvre la 4e Sonate de Johann Sebastian.

L’acoustique favorable du lieu, auquel on accède par la cour intérieure du Musée restauré invite à sa visite. La richesse de ses collections, leur présentation dans un cadre somptueux ont de quoi ravir le curieux comme l’amateur éclairé et le musicien. Pour ce dernier, bien sûr anecdotique, le fameux violon d’Ingres mais, surtout, une somme impressionnante de chefs-d’œuvre, d’esquisses qui les éclairent (Cherubini, par exemple). Bourdelle n’est pas en reste. Le musicien retiendra les Beethoven de ce dernier, les moulages des cinq bas-reliefs qui décorent le Théâtre des Champs-Elysées. Les collections anciennes comptent nombre de toiles dont les sujets musicaux séduiront le visiteur.

Au Théâtre Olympe de Gouges, Bruno Boterf proposait le lendemain une surprenante version des Vêpres pour la Vierge de Monteverdi. En effet, du recueil composite de 1610, il retenait les six psaumes de vêpres mariales, encadrés d’antiennes, auxquelles il ajoutait un emprunt à Frescobaldi. Comme il se doit, c’est sur le Magnificat à six voix que s’achevait le programme. Les douze chanteurs de Ludus modalis, rompus à cette pratique, à un ou deux par partie selon les pièces, allaient nous en offrir une lecture empreinte de ferveur et de grandeur. Un claviorganum, une basse de viole, un théorbe pour le continuo et deux sacqueboutes sont les seuls instruments conviés. L’équilibre est souverain, les voix sont magnifiées par ce parti pris. Cette version, historiquement documentée, confiée à des interprètes de premier plan au nombre desquels on reconnaît Eva Zaïzic, Anne Magouët, Hervé Lamy et Jean-Claude Saragosse, entre autres, est une incontestable réussite, saluée longuement par un public conquis.

"Âme brisée", dernier succès littéraire d’Akira Mizubayashi, devait être l’occasion d’une rencontre avec l’écrivain mélomane. Hélas, la pandémie lui a interdit de quitter le Japon. Par contre, le concert-lecture confié au talentueux comédien Olivier Jeannelle et à la violoniste Stéphanie Paulet a été un moment fort de ce festival. Les extraits retenus, liés à la destruction du violon par un militaire abruti par le fanatisme, durant une répétition du quatuor Rosamunde de Schubert, et dont le fils du premier violon est le témoin, prennent une force extraordinaire. En contrepoint, la violoniste et ses amis des Passions illustreront directement le riche texte, ajoutant à l’émotion qu’il recèle. Le premier et le deuxième mouvement du Quatuor étudié sont remarquables, ainsi que les extraits de la 2e Partita de Bach qui traduisent à merveille le regard et l’écoute de l’enfant caché.

L’avant-dernière journée du Festival s’achevait par un concert qui marquait le passage du baroque à l’Empfinsamskeit, sinon du classicisme. Ce sera donc Mozart, magnifié par Yasuko Uyama-Bouvard, pianofortiste de renom, et par les Passions que dirigeait Jean-Marc Andrieu. Chacun connaît les Concertos 20 et 21 (K 466 et 467), respectivement en ré mineur et en ut majeur, chefs-d’œuvre contemporains (1785), si différents dans leur expression. L’ouverture de Lo sposo deluso (K 430), opéra-bouffe inachevé, sur un livret de Da Ponte, rare au concert, complète le programme, intercalée entre les concertos. L’instrument, une copie de Johann Gottfried Walther due à Christopher Clarke, sonne à ravir. La sensibilité, la vigueur, la liberté de jeu, une articulation virtuose permettent à Yasuko Uyama-Bouvard de servir ces deux œuvres de façon magistrale. L’orchestre, coloré, réactif, à la plus large dynamique, est un partenaire idéal pour le piano-forte. Les cordes sont superbes de conduite. Tout juste regrette-t-on que les bois, placés en fond de scène, articulant peu, soient trop souvent fondus dans la pâte orchestrale. La fanfare initiale de Lo sopo deluso, faussement martiale, participe du caractère bouffe de l’ouvrage, dont le cocasse trait rythmique est d’un humour abouti. L’andante qui suit, passagèrement rêveur, sensible, interrogatif, tourmenté, nous fait regretter que Mozart n’ait pas achevé ce petit bijou… La direction, engagée et efficace, fait respirer la musique et en valorise la dynamique comme le lyrisme, ménageant toujours les équilibres de manière à servir au mieux le jeu de la soliste dans les concertos. Signalons que celle-ci nous a gratifiés pour le 21e Concerto d’une belle cadence de son invention, que nous préférons de loin à celle que Beethoven écrivit pour le 20e, davantage… beethovénienne que mozartienne. Le premier bis, surprenant, sera l’allegro initial de la sonate dite « facile » dont elle renouvelle la lecture, sensible, enjouée, en variant la reprise comme Mozart devait le faire. Aux acclamations du public, l’andante en fa majeur du 21e sera repris, comme ultime bonheur.

Avoir osé ce festival malgré les incertitudes liées à la pandémie, acte de courage et de confiance, a permis à un public nombreux de retrouver les joies partagées de la musique. Rendez-vous est pris pour l’édition 2021.

Montauban, Musée Ingres Bourdelle, Théâtre Olympe de Gouges, Couvent des Carmes (Conservatoire), 6ème Festival Passions baroques, du 3 au 11 octobre 2020

Yvan Beuvard

Crédits photographiques : Monique Boutolleau

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