Haendel, transcriptions sur un orgue roboratif, animées avec précision et vigueur

par

Georg Friedrich HÄNDEL (1685-1759), transcriptions pour orgue par John Walsh et James Hook. How Excellent Thy Name, O Lord ; Preserve Him for the Glory of Thy Name (Saül, HWV 53). Concertos pour orgue HWV 292 & 295. Let Thy Hand Be Strengthened ; Let Justice and Judgment ; Allelujah (Coronation Anthem, HWV 259). The King Shall Rejoice ; Exceeding Glad Shall He Be ; Glory and Great Worship, Allelujah (Coronation Anthem, HWV 260). Mourn, Ye Afflicted Children (Judas Maccabée, HWV 63). Simone Vebber, orgue Serassi de l’église S. Maria Maddalena de Desenzano. Juin 2019. Livret en italien. TT 54’04. La Bottega Discantica, Discantica 314.

Les disques entièrement (ou même majoritairement) consacrés aux transcriptions d’œuvres scéniques et sacrées de Haendel ne sont pas légion. Hormis le Händel in London de Johannes Geffert (à St-Mary's, Rotherhithe, chez Querstand, 2001), on citera le magnifique récital de Manuel Tomadin sur trois joyaux de la province d’Udine (Fugatto, 2006-2007). La réduction des deux Concertos ici présentés émane (qu’elle soit de sa main ou d’un tiers) de l’éditeur John Walsh (1665-1736), contemporain de leur créateur. Les pages d’oratorios ou d’anthems relèvent, elles, d’une génération bien postérieure, puisque c’est le compositeur et organiste James Hook (1746-1827) qui s’en chargea. À cette époque, certaines transcriptions (telles les Ouvertures, non présentes sur ce CD) reçurent l’aval de l’auteur, d’autres publications connurent des interventions plus autonomes, comme le relevait David Hunter dans son article George Frideric Handel as Victim: Composer-Publisher Relations and the Discourse of Musicology (2002). 

Signé de Simone Vebber, le livret estime que ces arrangements ne sont pas inadaptés à un autre instrument de clavier, tel le clavecin, mais qu’elles « ont un timbre plus approprié lorsqu'elles sont jouées à l'orgue ». Celui que nous entendons ici remonte à 1662, fut modifié au XVIIIe siècle par Giuseppe Bonatti (1710) selon les besoins de l’époque baroque, puis par les frères Serassi auxquels il fut confié en 1835. Les aménagements ultérieurs n'ont pas bouleversé cette esthétique, jusqu’à une récente restauration (2014) par le facteur Marco Fratti qui a revalorisé l’état constaté au milieu du XIXe siècle. La montre tricuspide révèle 39 tuyaux à bouches alignées. Deux claviers coupés (bassi/soprani) et le pédalier font parler 12 registres à l’Organo Eco et 41 au Grand’Organo. Même si l’on pourrait préférer la transparence d’un Callido (tel celui de Villalta, 1791, dans le disque de Manuel Tomadin, propice à l’élucidation polyphonique), les amples ressources du Serassi/Fratti profitent à l’éventail de couleurs. Les anches semblent certes un peu empâtées (How Excellent Thy Name, O Lord ; Allelujah HWV259) mais puissantes, ce qui d’une certaine manière rend hommage à la gouaille empoissée de la facture anglaise à forte pression. En tout cas, la précision mécanique permet une attaque nette, ce que l’on vérifie dans le finale du Concerto no 4, hâté juste ce qu’il faut.

Le musicographe Charles Burney (1726-1814), éminent chroniqueur, radar des goûts de l’époque, arbitre des élégances, fustigea le virtuose William Babell (1689-1723), transcripteur de Rinaldo, lui reprochant un jeu « trop démonstratif et brillant, ses doigts à telle vitesse qu’il manquait de sensibilité, d’expressivité, d’harmonie et de modulation. Ainsi il se permet l’ignorance pour épater les gens ». Heureusement, la vélocité de Simone Vebber réussit l’équilibre entre la projection et l’équilibre du propos, et l’on ne saurait taxer sa prestation d’inexpressive : c’est bien le contraire, quelle faconde ! Les trilles virevoltent (Let Thy Hand Be Strengthened) mais s’intègrent à la ligne de chant, ici chauffée à incandescence. Dans l’ensemble, l’interprétation ennemie de toute mollesse, de toute tiédeur, se caractérise par sa vigueur, sa poussée, même dans de nobles déclamations (Let Justice and Judgment) qui pourraient inspirer l’alanguissement. Ce volontarisme (The King Shall Rejoice) s’avère en tout point stimulant, et rares (Exceeding Glad Shall He Be) sont les moments où l’on souhaiterait une ardeur qui résiste à l’empressement. De toutes ces œuvres, Simone Vebber livre un paysage roboratif, profus et conquérant. Malgré une durée un peu chiche (54 mn), l’on sort rassasié et réjoui de cet album toujours enthousiaste, souvent euphorisant.

Christophe Steyne

Son : 10 – Livret : 9 – Répertoire : 9 – Interprétation : 9

 

 

 

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