Salonen et le Philharmonia : l'indéniable qualité d’un orchestre et de son chef  

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En 1947, Dinu Lipatti, établi à Genève où il avait accepté une charge d’enseignement au Conservatoire, devenait l’un des patients du Dr Henri Dubois-Ferrière, pionnier du développement de l’hématologie en Suisse. Au sommet de ses moyens, l’artiste poursuivait une carrière internationale, même si son état de santé allait en se dégradant. Main dans la main, les deux hommes, qui étaient unis par une profonde amitié, décidèrent  de lutter contre l’inéluctable. Mais, pratiquement, à bout de forces, le pianiste donna un ultime récital le 16 septembre 1950 lors du Festival de Besançon puis s’éteignit à Genève le 2 décembre. Vingt ans plus tard, son médecin, victime d’un cancer, le suivait dans la tombe le 8 juillet 1970. Dès ce moment-là, les proches songèrent à établir une fondation portant leurs deux noms, fondation qui, aujourd’hui encore, tente de réunir des fonds en organisant un concert de gala, ce qui fut le cas le 1er mars au Victoria Hall. Grâce à l’aide de généreux donateurs, le premier montant récolté est estimé à plus d’un demi-million de francs suisses, montant qui permettra le développement de thérapies cellulaires innovantes pour les enfants atteints de leucémie ou de lymphome.

Cette année, s’est produite une formation réputée, le Philharmonia Orchestra sous la direction de son chef principal depuis 2008, le Finlandais Esa-Pekka Salonen, dans un programme Mozart-Bruckner.

Quelle qualité de son s’impose immédiatement avec l’ouverture pour Der Schauspieldirektor K.486 ! Dans un tempo extrêmement rapide se révèle un coloris magnifique qui joue des contrastes de phrasé pour faire sourdre une ironie mordante. Le programme se poursuit avec le Concerto n.23 en la majeur K.488 dont le soliste est Nelson Goerner. Alors que le tissu de cordes produit un legato chantant, le pianiste révèle un  jeu clair aux lignes sobres qui allège les fins de phrase afin de donner libre cours à sa fantaisie dans la première ‘cadenza’. L’adagio est embué de larmes amères qui voilent une méditation résignée quand le finale ‘vivacissimo’ brille par la netteté d’articulation. En bis, Nelson Goerner dénoue magistralement l’enchevêtrement polyphonique qui sert d’armature au Seizième Nocturne en mi bémol majeur op.55 n.2 de Chopin.

Changement radical d’atmosphère avec l’une des pages majeures d’Anton Bruckner, la Septième Symphonie en mi majeur dont Esa-Pekka Salonen dégage d’emblée la profondeur en faisant dessiner par violoncelles et cors un arpège sur deux octaves qu’iriseront le contre-chant du hautbois et de la clarinette puis l’animato des cordes. Le renversement du motif initial sera proclamé péremptoirement ; car il amènera le développement extrêmement travaillé et une coda exubérante. Les cordes graves et les ‘tuben’ wagnériens confèrent à l’Adagio le caractère d’une émouvante déploration, dont le baume consolateur  proviendra du cantabile des violons. Et c’est de l’ampleur du crescendo que découlera la péroraison diluant le thème du début. Une trompette acérée projette le Scherzo dont la baguette accentue la rapide progression, tandis que le trio médian reviendra à des lignes plus souples. Et le Finale est buriné à la pointe sèche, avant que n’apparaisse un choral à la texture plus chaleureuse. L’intervention des cors ramène néanmoins un doute lancinant provoquant de véhéments contrastes que dissipera la section conclusive clamée par les cuivres triomphants. Et le public leur répond par des salves d’applaudissements frénétiques saluant une mémorable exécution !

Paul-André Demierre

Genève, Victoria Hall, 1er mars 2019

Crédits photographiques : DR

 

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