Subtil premier disque sibélien pour Nicholas Collon et la Radio finlandaise

par

Jean Sibelius (1865-1957) : Symphonie no 7 en ut majeur, opus 105. Le Roi Christian II, Suite op. 27. Pelléas et Mélisande, Suite op. 46. Nicholas Collon, Orchestre symphonique de la Radio finlandaise. Octobre et décembre 2021. Livret en anglais et finnois. TT 71’51. Ondine ODE 1404-2

À considérer les grands chefs sibéliens qui en approfondirent les enjeux à travers les années, la Symphonie no 7 appellerait-elle une expansion au gré des relectures ? Sauf à considérer l’évolution générique de leur propre style de direction, on remarquera que s’élargirent les versions postérieures de Leonard Bernstein (1960 à New York, 1988 à Vienne), Eugene Ormandy à Philadelphie (1960 et 1975) ou Lorin Maazel (1966 à Vienne, 1992 à Pittsburgh). À l’opposé des quelque vingt-six minutes osées par ce maestro dans son second enregistrement (Sony), certaines baguettes traversaient cet opus 105 en moins de vingt (Sixten Ehrling, Carl von Garaguly, Thomas Beecham au Festival d’Helsinki en 1954…) voire excédaient à peine les dix-neuf minutes (Anthony Collins en la pionnière intégrale pour Decca). Globalement voisin du déploiement d’un Guennadi Rojdestvenski (Melodiya), ou de Jukka-Pekka Saraste (RCA, 1989), l’approche subtile et décantée de Nicholas Collon lui permet d’inscrire sa contribution parmi celles qui ne traînent pas, sans pourtant atteindre l’intensité dramatique du Russe ni le relief narratif de Saraste. Comparaison d’autant aisée que ce dernier menait le même orchestre de la Radio finlandaise que nous entendons ici.

On ne peut que saluer la finesse de ses textures, l’ingéniosité de ses transitions, quoique la manière douce du chef anglais édulcore le propos et escamote le massif en une humeur uniformisée. Là où par exemple, le thème de trombone devrait s’inscrire dans des environnements évolutifs, pour atteindre finalement son rayonnement transfigurateur. Les musicologues ne sont pas d’accord sur la morphologie de cette symphonie (forme-sonate ou non ?), toujours est-il qu’elle relève d’une structuration (axée notamment sur l’épisode où le ciel paraît se couvrir d’orage), et que cette dialectique tend à se neutraliser quand on la plie à une métamorphose continue, si esthétisée soit-elle dans le présent enregistrement. Les moments d’emportement semblent un peu artificiels, et les éruptions s’apparentent davantage à la coulée de lymphe que de lave. Ou dit élégamment : cette interprétation fait régner un cosmos qui aspire à l’harmonie.

La Suite du Roi Christian fournit une clé de compréhension : au lieu de scènes spontanément imagées qui ne demandent qu’à s’incarner sous l’oreille, Nicholas Collon semble nous feuilleter un livre d’images vaguement compassées, -antithèse au geste théâtral d’un Santtu-Matias Rouvali (Alpha, 2019). Seules la précision et la délicatesse de sa baguette le distinguent des tentations routinières d’un Jussi Jalas (Decca, 1975). Élégie et Nocturne profitent évidemment de ces soins, tandis que l’insurrectionnelle cavalcade finale réclamerait la poigne d’un Paavo Berglund (Emi, 1982) et demeure bien en-deçà de la fulgurante vindicte qu’hérissait un Alexander Gibson poussant à l’exploit ses pupitres écossais (Emi, 1966).

On admet que cette modération distanciée s’avère propice aux épures symbolistes de Pelléas et Mélisande. Un vinyle de David Zinman (Philips, 1980), rapprochant Fauré, Schoenberg et Sibelius, permettait de saisir l’extrême acuité de cet opus 46 dérivé de la pièce de Maurice Maeterlinck où le compositeur de Tapiola distille les philtres les plus ténus. Nicholas Collon se montre très attentif à ces atmosphères évanescentes (Pastorale), à ce lyrisme circonspect (le portrait de l’héroïne, plage 8), à ces deuils pudiques (plage 15) qui expirent au ras du silence. Au regard de la discographie, on n’oubliera pas la magie de Thomas Beecham et son Royal Philharmonic (1955) ; on avoue que le présent CD s’en approche par son tact. Les souffleurs et notamment les anches ne sont peut-être pas aussi caractérisés que dans les témoignages de Serge Baudo avec la Philharmonie tchèque (Supraphon, avril 1989) ou de Horst Stein et ses capiteuses forces helvètes (Decca), toutefois le résultat pénètre l’âme et évite du moins l’aridité cérébrale d’un Karajan (DG). L’irrésistible frémissement que Nicholas Collon accorde à l’Entracte ne crève pas l’écran mais le soumet à une vascularisation finement capillarisée.

Cette transparence du tissu, cette fluidité de la pulsation et cette diplomatie de l’émotion résument les qualités de cet album, qui déçoit surtout pour l’ultime symphonie, dont l’animation timide se situe loin des tableaux, aussi anciens que dantesques, signés de Serge Koussevitzky ou John Barbirolli. Si Nicholas Collon et la phalange dont il vient de prendre la tête suite à Hannu Lintu persévèrent dans l’exploration du corpus sibélien, on peut légitimement escompter que leur union s’optimiserait dans les demi-teintes de la Symphonie no 6 ou les évocations sublimées de La Tempête.

Son : 9 – Livret : 9 – Répertoire : 8-10 – Interprétation : 7,5 (symphonie) à 10 (Pelléas et Mélisande)

Christophe Steyne

 



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