Un charmant Telemann pour le premier disque de l’Altberg Ensemble
Georg Philipp Telemann (1681-1767) : Ouverture en ré majeur pour deux trompettes, timbales, cordes et bc TWV 55:D18 ; Ouverture en la mineur pour deux flûtes à bec, deux hautbois, basson, cordes et bc TWV 55:a4 ; Concerto Polonois en sol majeur pour cordes et bc TWV 43:G7. Ouverture en ré majeur pour deux flûtes, cor, basson, cordes et bc TWV 55:D23. Peter Van Heyghen, Altberg Ensemble. Juillet 2021. Livret en polonais, anglais, français. TT 69’04. DUX 1761
On se félicite que des labels comme Dux continuent de nous offrir des livrets multilingues, accessibles aux mélomanes francophones. En l’occurrence toutefois, à défaut de comprendre la notice en polonais, on se reportera plutôt à sa fluide traduction en anglais car la version française, lourde, approximative et on l’espère mal relue, accumule la dysorthographie, jusqu’au comique involontaire : l’affirmation « les œuvres de Johann Sebastian Bach dont les réussites ont été analisées » ne relève probablement pas d’une allusion au stade infantile décrit par Freud.
Constitué en été 2017, le jeune Ensemble Altberg s’est attribué le nom d’une élève de Wanda Landowska et ambitionne de jouer sur instruments d’époque ou copies exactes. Pour son premier CD, il a choisi un témoin du « gemischter Goût » en la personne du prolixe Telemann, avec un évident clin d’œil au terroir de ses musiciens puisque le programme embarque un des deux Concertos polonois appartenant au catalogue chambriste TWV 43 (il existe un tel autre quatuor avec basse continue, en si bémol majeur). On sait que pour pimenter ses œuvres le compositeur allemand aimait puiser au folklore silésien, morave et plus largement d’Europe centrale, « sa beauté authentique et barbare... », collecté dans les tavernes –voir par exemple l’album de Holland Baroque capté en 2020 pour Pentatone. Autre incursion alla polacca dans l’Ouverture en la mineur, parfumée par le souffle onctueux de Katarzyna Czubek et Agnieszka Mazur aux flûtes à bec. Les hautbois de Jan Hutek et Patrycja Lesnik-Hutek apportent leur grâce, particulièrement dans le trio du Menuet.
Le baptême discographique de l’équipe ici dirigée par Peter Van Heyghen rend aussi hommage à la cour versaillaise et débute par une fringante Ouverture avec trompettes (Ostap Popovych, Pawel Hulisz) et de remuantes timbales (un modèle fin XIXe siècle), galbées par Pawel Szewczyk. Autre avatar du style français dans l’introduction de l’Ouverture en ré majeur, que la notice estime d’un esprit plus ramiste que lullyste, animée par les ravissantes contributions de Magdalena Pilch, Ewa Gubiec (traverso), Kamila Marcinkowska-Prasad (basson) et Dominika Stencel (cor naturel).
Les clavecins d’Ewa Mrowca et Kris Verhelst sertissent de leurs paillettes et rebonds un tapis d’une dizaine d’archets, d’une patine plutôt grasse et lustrée dont le legato contraste avec une mode ordinairement plus fine et anguleuse, exemplifiée avec le réveil baroqueux dans les années 1980-1990 par le Freiburger Barockorchester ou des troupes rhénanes telles que Musica Antiqua Köln ou Camerata Köln. Au demeurant, la concertation de l’Altberg Ensemble vit de ce contraste entre expression plantureuse, rythme clair et détails savoureux. Ce type d’interprétation modelé et velouté décevra peut-être les amateurs d’approches frénétiques et cassantes, mais le charme mélodique de Telemann opère en plénitude, comme dans l’album de Barthold Kuijken à Indianapolis « qui prend le temps de peaufiner la couleur, réfléchir l’élan, ciseler le trait, approfondir la respiration » écrivions-nous. C’est aussi le cas ici, agrémenté d’une élégante onction que nous aimons beaucoup et saura toucher le cœur plutôt qu’éblouir. Pas de coup d’éclat pour la carte de visite que nous poste l’Ensemble Altberg, mais au fond peut-être mieux : un écrin de bon goût et juste manière qui tend la main à l’Empfindsamkeit.
Christophe Steyne
Son : 9 – Livret : 8 – Répertoire : 9 – Interprétation : 10