Telemann selon Barthold Kuijken : un style patient, galant et cultivé

par

THE COLOURFUL TELEMANN. Georg Philipp TELEMANN (1681-1767) : Ouverture en ut mineur TWV 55:c4 ; Concerto pour deux flûtes en sol majeur TWV 53:G1 ; Sonata en mi mineur TWV 50 :4 ; Concerto pour deux flûtes, violon et violoncelle en ré majeur TWV 54 :D1 ; Sinfonia melodica en ut majeur TWV 50 :2.  Indianapolis Baroque Orchestra, Barthold Kuijken. Février 2019. Livret en anglais. TT 64’31. Naxos 8.573900.

Après Lully, Versailles, et une compilation de concertos pour flûte, le quatrième album Naxos de cet orchestre d’Indianapolis se dévoue tout entier à Telemann, par une collection d’œuvres illustrant la multiplicité des sources d’inspiration touillées dans le creuset des « goûts réunis ». Le Concerto pour deux flûtes alterne un Allegro de style italien, un Largo d’esprit français, et un vigoureux finale d’inspiration polonaise. La danse de cour n’est jamais loin, ainsi la gavotte qui conclut le Concerto à deux flûtes, violon et violoncelle, ou la série de sarabande, bourrée, gigue dans la Sinfonia Melodica.

Après bientôt un demi-siècle de carrière, le frère cadet de Sigiswald et Wieland n’a évidemment rien à prouver en termes de légitimité quant à sa conception d’un répertoire qu’il connaît sur le bout des doigts. Rappelons le sujet de sa thèse de doctorat pour la Vrije Universiteit de Bruxelles : « La notation n’est pas la musique, réflexions sur plus de quarante années de pratique intensive de la musique ancienne ». 

C’est quasiment une philosophie que Barthold Kuijken nous livre dans son approche de Telemann, qu’il présente ainsi dans le livret : « au lieu de suivre une ligne droite, il se promène, sans itinéraire préconçu, mais il retrouve toujours le chemin de la maison. Pendant l’excursion, il discutera avec un ami, s’arrêtera pour contempler un paysage, écouter un oiseau ou quelque violoneux dans une taverne, admirer un arbre ou une fleur. Il ne semble jamais pressé et savoure pleinement son temps ».

Ce caractère tempérant et musardeur se retrouve complètement dans l’interprétation de ces pièces, certes pas un plaidoyer mais qui prend le temps de peaufiner la couleur, réfléchir l’élan, ciseler le trait, approfondir la respiration. Même le Presto du Concerto pour deux flûtes ne bouscule pas les saillies alla polacca mais laisse tendrement s’exhaler les parfums. Les bruits de clé concourent à un charme délicat. Pour ce même opus, on est loin de la contagieuse verve de L’Accademia Giocosa (Oehms 2012). On pourrait aussi comparer la lecture de la Sonate en mi mineur avec celle affutée par Reinhard Goebel et son Musica Antiqua Köln (en complément des Elémens de Rebel) : là où l’équipe allemande aiguisait un tracé pur et souvent foudroyant, la troupe d’Indianapolis offre des phrasés plus recherchés, contournés et creusés, grâce à des tempi fort prudents, qui certes ne permettent rien de bien virtuose. Même pour un effectif en sextuor, la cohésion instrumentale semblerait parfois un brin laborieuse. C’est peut-être l’unique déception qui se dégage de ce disque : une finition çà et là perfectible dans la couture des échanges. Très suggestif en tout cas, l’Air cancané par les hautbois ressemble ici à une goguenarde chorégraphie au bord de la mare.

Le continuo reste discret, laissant la vedette au profil mélodique dessiné par des cordes pulpeuses et des bois savoureux où les solistes s’intègrent harmonieusement. Pour les auditeurs indisposés par les exécutions frénétiques, ce style méthodique et charpenté (certaines oreilles le trouveront-il épais ou routinier ?) remémore les enregistrements des années 1970 qui privilégiaient l’expression plutôt que l’excitation rythmique, qui privilégiaient le moelleux sur l’arête à vif, qui privilégiaient souplesse et agrément du discours plutôt que le brio conquérant.

Conforté par une captation spacieuse, le directeur artistique et chef du Indianapolis Baroque Orchestra inculque à ses pupitres une interprétation toute fleurie où la manière galante de Telemann ose préserver son élégance mais surtout sa capacité d’émouvoir. Ce n’est pas, ce n’est plus si fréquent.

Son : 10 – Livret : 9 – Répertoire : 9 – Interprétation : 8

Christophe Steyne

 

 

 

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