Un deuxième album de symphonies du Letton Tālivaldis Ķeniņš

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Tālivaldis Ķeniņš (1919-2008) : Symphonie n° 4. Symphonie n° 6, « Sinfonia ad Fugam ». Canzona Sonata pour alto et orchestre à cordes. Santa Vižine, alto ; Orchestre symphonique national de Lettonie, direction : Guntis Kuzma. 2021. Notice en anglais. 52.40. Ondine 0DE 1354-2.

Le label Ondine propose un deuxième album consacré aux symphonies du compositeur letton Keniņš, après celui que nous avons présenté, dans les colonnes de Crescendo, le 14 novembre 2020, qui était consacré à la Symphonie n° 1 et à deux concertos, avec le même orchestre et le même chef. Sur les huit symphonies composées entre 1959 et 1986, trois sont donc déjà mises à disposition, ce qui fait espérer une future intégrale. Nous renvoyons le lecteur à notre texte précédent en ce qui concerne les aspects biographiques de ce créateur. Rappelons simplement que né à Liepaja, il a étudié en France et s’est installé définitivement au Canada en 1951, où il est devenu professeur. Son catalogue est considérable et est voué à divers genres, dont la musique orchestrale. Rappelons encore que ce compositeur s’est défini lui-même comme un romantique contemporain, attiré par une musique intemporelle, qui rend compte de l’angoisse de l’existence et des caprices des destins humains, mais aussi de la nature et de ses émotions personnelles. Le présent disque montre à quel point il s’agit d’un créateur original. 

La Symphonie n° 4, composée en 1972, répond à une commande pour l’anniversaire des cent ans du premier Festival de chant letton, prévu dans le cadre du troisième festival européen du même nom, qui s’est tenu à Cologne et où l’œuvre est créée, au Gürzenich, par l’Avon Chamber Ensemble, dirigé par un autre compositeur letton, Gundaris Pone (1932-1994). L’année suivante, elle est jouée par l’Orchestre de chambre de la Radio et Télévision belge sous la direction de Fernand Terby, à l’occasion d’une tournée aux Etats-Unis et au Canada. Elle fera aussi l’objet d’enregistrements. On lira dans la notice très bien documentée, signée par le musicologue Orests Silabriedis, que Ķeniņš a lui-même évoqué son caractère chambriste, à la manière des six symphonies de Darius Milhaud, mais dans un langage différent, ainsi que l’emploi du principe de musique aléatoire qui laisse une certaine liberté d’interprétation à l’orchestre et à son chef. Les instruments choisis sont la flûte, le hautbois, la clarinette, le cor français, la trompette, le trombone, la percussion et les cordes, mais le compositeur a prévu des parties avec deux violons, alto et violoncelle. 

Le premier mouvement s’ouvre dans un contexte paisible et aux accents mystiques que le meneur de jeu, Guntis Kuzma, compare à un genre de musique chamanique. Mais le rythme s’accentue pour se transformer en énergie vitale avec des cordes dissonantes et du tam-tam. L’importance de la percussion, utilisée tout au long de l’œuvre avec subtilité et recherche de couleurs contrastées, est réelle. Une section Molto animato fait penser, toujours selon Guzma, à des mouvements de foule, les vents jouant un rôle spécifique, avant un retour au calme. Dans les partitions du compositeur, un climat de mystère, de tendance évanescente, s’établit souvent ; c’est le cas ici. Un solo de trompette lance un Presto introductif au second mouvement. De plus en plus animé, avec une émotion contrôlée et une liberté jaillissante des vents et des cuivres qui s’entremêlent, la percussion exprime une joie bondissante qui est ponctuée par les timbales, auxquelles le choix du tempo sera laissé dans le Final, clôturé par un Lento subito qui s’interrompt de manière abrupte. On notera une anecdote liée à la répétition générale de la création à Cologne : les partitions pour les percussions étaient introuvables ; le compositeur les reconstitua en quelques heures dans sa chambre d’hôtel ! Il a déclaré un jour que cette Symphonie n° 4 doit en fait être considérée comme un concerto pour percussions ; la recherche de couleurs disparates et impalpables que l’on y découvre en fait en tout cas une expérience sonore particulière, dont on imagine l’impact en salle.

La Symphonie n° 6, « Sinfonia in fugam » de 1978 est une commande du National Arts Centre Orchestra d’Ottawa. Il faut savoir que Ķeniņš a toujours été un grand admirateur de Bach, qu’il considérait comme le maître absolu et dont il possédait une impressionnante collection de disques. Il reprend dans cette symphonie un thème de la Fugue en do dièse mineur du Livre I du Clavier bien tempéré, qu’il enveloppe de couleurs chaudes et variées. L’œuvre est en un seul mouvement. Une clarinette lente et méditative ouvre une perspective qui va peu à peu former un cluster avec les cordes, avant l’intervention d’un contrebasson, puis d’autres instruments comme le basson ou le cor français. Le climat qui se crée ainsi ressemble à un édifice qui se construit peu à peu comme un hommage au Cantor, avec les ressources des vents, des cuivres et des cordes, et pour celles-ci, l’installation d’un climat magico-onirique d’une très grande beauté plastique. L’aventure sonore se poursuit sur un registre plus animé et même vindicatif, jusqu’à une intervention soliste du marimba et un bourdonnement des cordes, auxquelles se joint l’orchestre tout entier. Le tout se dilue pour retourner au silence. 

En complément de programme, la Canzona Sonata de 1986 pour alto et cordes, en un seul élan également, ressemble à un chant instrumental d’une expressivité profonde au cours duquel une texture orchestrale oscille entre modernisme et postromantisme, dans un échange émotionnel permanent, porté avec un geste large par l’alto, qui a des accents proches du violoncelle.  Née à Riga, l’altiste Santa Vižine a fait partie pendant plusieurs années de la Kramerata Baltica de Gidon Kremer, avant de rejoindre le Concertgebouw d’Amsterdam depuis décembre 2017. Elle fait preuve ici d’un lyrisme chaleureux. Quant à l’Orchestre symphonique national de Lettonie, conduit avec ferveur par Guntis Kuzman, il apparaît dans les trois partitions comme la phalange idéale pour magnifier cette musique si originale.         

Ce disque, dont on regrettera le minutage qui dépasse à peine les cinquante minutes, a été enregistré à Riga en janvier dernier. Comme c’était le cas pour la Symphonie n° 1, la pochette de couverture propose la reproduction d’un tableau d’un peintre letton, Aleksandrs Romans (1878-1911). Décédé à moins de trente ans, cet artiste avait fait son apprentissage à Saint-Pétersbourg avant d’enseigner dans son pays natal. L’œuvre ici mise en valeur, qui date de 1910, est, comme sur le CD précédent, un délicat paysage poétique. Il est un peu à l’image de l’inspiration du compositeur : baignée de sons voilés et située dans un contexte insaisissable. 

Illustrer visuellement la musique par de la peinture méconnue est une belle initiative.  

Son : 9    Livret : 10    Répertoire : 9    Interprétation : 9

Jean Lacroix

 

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