Une compositrice à l’épreuve du réel : « Fausto » de Louise Bertin au Théâtre des Champs-Elysées

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La valeur des « femmes musiciennes » brille indiscutablement depuis la nuit des temps. Car -on ne le dit jamais- jusqu’au XIXe siècle, les interprètes, hommes et femmes, étaient par définition et en même temps, compositeurs- improvisateurs et enseignants.

La dissociation interprète/auteur s’étant opérée tardivement, il est normal de ne pouvoir identifier de compositrices es qualité qu’à partir des débuts de l’édition et, plus particulièrement, au cours de ce XIXe siècle d’où surgit Louise Bertin présentée également comme poétesse.

Partant du « Faust » de Goethe, elle en modifie l’esprit (plus de chien, ni de cave d’Auerbach, ni de bijoux, miroir ou course à l’abîme) et l’acclimate au goût français, sans excès de philosophie.

Quant au choix du sujet, la compositrice s’inscrit dans l’air du temps. Car Goethe est présent partout. 

Liszt au piano et le ténor Adolphe Nourrit ont déjà fait entendre à Paris les Lieder de Schubert composés sur les poèmes de Goethe.

Les Huit Scènes de Faust de Berlioz ont paru et les peintres, parmi lesquels Delacroix et Ary Scheffer, se sont emparés du mythe gothique tandis que la traduction de Gérard de Nerval date de 1828.

Autre curiosité, Fausto a été traduit en italien (assez littéralement pour ce que l’on peut en juger) puisque cette oeuvre semi-seria en quatre actes était destinée au Théâtre Italien.

Fille du directeur du Journal des Débats (Louis-François Bertin) et en dépit des infirmités laissées par la poliomyélite, la jeune femme fait vite preuve d’autant de dons que de tempérament.

A 26 ans, formée par sa mère elle-même pianiste, puis élève de Reicha et de Fétis, elle a déjà signé deux opéras comiques (Guy Mannering et Loup-garou). Cinq ans plus tard, c’est Victor Hugo lui-même qui rédigera le livret d’Esmeralda promis à l’Académie royale de musique. Sa manière fut qualifiée de « virile, forte et neuve » par Berlioz ! Et, fait exceptionnel dans l’histoire lyrique, ses opéras furent donnés dans d’excellentes conditions musicales.

Néanmoins, Fausto puis Esmeralda chutèrent au terme de quelques soirées.

Certes les circonstances politiques en compromirent le succès mais l’explication suffit-elle à expliquer le désastre ?

Au Théâtre des Champs -Elysées, comme à l’époque, cette représentation a été confiée à de remarquables artistes et il est donc possible aujourd’hui de juger « sur pièce ».

D’une battue impérieuse et sèche, Christophe Rousset, à la tête de Talens lyriques sérieusement étoffés, mène de main de maître une performance qui relève de l’exploit.

A commencer par celui de Karine Deshayes qui prête son timbre mordoré et son phrasé de reine au personnage du Docteur Faust. La sobriété du style soutenue par une endurance exceptionnelle rend la stature du savant tout à fait crédible.

D’autant qu’elle doit tenir tête à un Méphisto d’envergure, la basse croate Ante Jerkunica, présent sur toutes les grandes scènes et que l’on rêve de réentendre à Paris.

Plus familière des univers baroques, la soprano Karina Gauvin parvient à suggérer le caractère de douceur de Marguerite en dépit d’une projection modeste.

Aux antipodes, son frère soldat, Valentin, incarné par le ténor maltais, Nico Darmanin, défend avec un panache ahurissant les vocalises rossiniennes que lui attribue la compositrice... sans oublier une série de contre-ut à faire pâlir Tonio dans la Fille du régiment (Donizetti).

A Thibaut de Damas, baryton basse, impeccable et fier Wagner, se joignent Marie Gautrot (Catarina) et Diana Axentii (Marta) tout aussi valeureuses. Les Choeurs de la Radio flamande passent avec aisance des imprécations démoniaques aux chants angéliques de Pâques détachant quelques choristes pour l’ensemble des femmes accusatrices.

La musique, quant à elle, déconcerte. Puissante, colorée, elle mélange les inspirations les plus composites. Mozart y paraît souvent (scène de la mort de Valentin, par exemple, où l’ensemble évoque Don Giovanni), Rossini et l’écriture belcantiste (vocalisation, passages avec continuo et attribution du rôle de Faust à une mezzo-soprano) également, tandis que l’insistance répétitive des cuivres et des percussions se rattache au romantisme.

L’articulation reste sommaire. Les élans de Caccia (chasse) et d’autres plus élégiaques se succèdent sans véritable transition ni progression dramatique. La compositrice sonne volontiers la charge et ignore la litote. Si l’énergie de l’ensemble impressionne, l’instrumentation sonne souvent bruyante et rudimentaire.

Au coup de cymbales final, la salle applaudit avec ferveur cette unique performance vocale et instrumentale. Néanmoins, talent et conviction ne dissimulent pas les faiblesses d’une partition tapageuse.

Paris, Théâtre des Champs-Elysées, le 20 juin 2023        

 Bénédicte Palaux Simonnet 

Crédits photographiques :  © Gil Lefauconnier

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