Une reprise attendue, à Dijon

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On attendait beaucoup de cette soirée, trop peut-être. Après de longs mois de silence contraint, du moins dans sa formation symphonique, l’Orchestre Dijon Bourgogne retrouvait son public, au Grand Théâtre, avec un chef invité d’excellente réputation et une soliste renommée, dans un programme séduisant.

Privés de chef permanent depuis le départ de Gergely Madaras pour Liège, les musiciens allaient-ils retrouver leur cohésion, leur équilibre, leur implication ? Il est vrai que durant ces temps difficiles, tous se sont engagés dans des actions originales, en petites formations très diverses, pour répondre aux besoins de publics les plus variés, ce dont il faut les féliciter, mais qui ne peut se substituer à un travail par pupitre ou collectif.

L’orchestre, dont les musiciens sont distanciés, a trouvé place sur une scène agrandie au proscenium, débordant la fosse. Le seul handicap, réel, est l’éloignement en fond de scène des bois, dont le déséquilibre sera patent dans Beethoven.

Aussi célèbre, achevé, révisé, dix ans avant celui de Brahms (1878), le premier concerto de Bruch fut aussi écrit pour Joseph Joachim. Jouée par tous les virtuoses, l’œuvre a éclipsé les deux autres concertos du compositeur. C’est ce soir l’une des plus prometteuses violonistes de la jeune génération, Alexandra Conunova, qui nous l’offre, jouant un splendide « Del Gesu » des années 1730. La Moldave a cumulé nombre de prix particulièrement disputés et se produit dans les salles les plus célèbres. Dès les toutes premières mesures, on sait que la soirée sera belle. Le chef et l’orchestre, particulièrement investis, seront les partenaires réactifs et attentionnés de la soliste. Si le prélude et le premier mouvement nous enthousiasment, c’est évidemment l’adagio, élégiaque, rêveur, poignant qui nous émeut le plus. L’allegro energico est éblouissant, d’une verve populaire, avec un jeu d’une exceptionnelle maîtrise, la virtuosité du presto réservant son interprétation aux seuls « grands » violonistes. Alexandra Conunova est de ceux-là : la rondeur, les couleurs, une technique transcendante bien sûr, mais surtout l’intelligence d’une œuvre qu’elle a faite sienne et dont elle traduit toutes les facettes, tous les climats avec une égale réussite. Les ovations et nombreux rappels du public lui vaudront un très beau bis.

Qui ne connaît la troisième symphonie de Beethoven ?  Adrian Prabava nous en propose une lecture des plus fidèles, analytique et éloquente, habitée par le tragique. La force et la dynamique qu’il imprime ne sont jamais exhibitionnistes. Cependant, on mesure combien la traduction par l’orchestre de ses intentions demeure parfois inaboutie. Certains sont à la peine dans des traits rapides. Les bois ne chantent guère, quelques attaques manquent de précision, on sent les musiciens tendus par la vision que veut imposer le chef et leur adhésion semble formelle. La reprise du premier mouvement est omise, dommage. C'est construit, clair, de beaux phrasés, ainsi que les progressions, avec toujours cette tension parfois fébrile.  La marche funèbre et ses variations confirment les limites énoncées. Les cordes n’ont ni la rondeur ni la plénitude attendues, les flûtes sont prosaïques, en retrait de par leur placement. Mais toujours ça avance, avec un romantisme juste de ton. Les quelques cinquante dernières mesures traduisent bien le travail accompli, particulièrement soigné. Le scherzo est toujours clair, vigoureux, précis, même si l’assurance des cors mérite d’être confortée. Le finale nous réserve la surprise d’une réduction passagère des cordes à un quatuor de solistes. Hormis l’accentuation des contrastes, on reste dubitatif devant cette liberté. La direction excelle à conjuguer les trames polyphoniques, toujours claires, et le caractère passionné, exalté, dont est porteur l’ouvrage.  Bref . une « héroïque » quelque peu inachevée.

Yvan Beuvard

Dijon, Grand Théâtre, le 17 septembre 2020

Crédits photographiques : Alexandra Conunova/ DR

 

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