Une version historiquement informée pour L’Or du Rhin de Wagner

par

© Felix Broede

Ce vendredi 18 août a lieu la représentation historiquement informée de L’Or du Rhin de Richard Wagner, prologue de sa tétralogie L’Anneau du Nibelung. Cet opéra en un acte et quatre scènes est donné en version concertante à la Philharmonie de Cologne avec Kent Nagano à la direction. L’orchestre est quant à lui composé de musiciens de deux orchestres : le Concerto Köln, habitué des interprétations historiquement informées et l’Orchestre du Festival de Dresde, ville où Wagner occupe une place importante. Plus de 100 musiciens, 102 pour être précis, accompagnent les 14 solistes du soir.

Avant de parler de la prestation en elle-même, revenons d’abord sur le but recherché de cette version historiquement informée. Il faut savoir que c’est un projet colossal qui est mis en place depuis 2017 puisque que c’est la totalité du Ring qui va bénéficier de recherches scientifiques afin de pouvoir interpréter les quatre opéras de cette tétralogie de manière historiquement informée. Le but de ces recherches scientifiques, menées sous la direction du Dr. Kai Hinrich Müller, est de proposer une nouvelle manière d’aborder cette œuvre afin d’essayer de se rapprocher au maximum de l’interprétation dans le contexte de l’époque et sur base des découvertes actuelles sur Wagner.

Ainsi plusieurs points sont abordés : les instruments, la manière de chanter, la manière d’interpréter le texte, la prononciation de l’allemand.

Les instruments utilisés pour cette représentation ont été choisis suite aux recherches effectuées. Des cordes en boyaux, des cuivres historiques et des flûtes traversos (ayant la préférence de Wagner) sont utilisées tandis que des hautbois et tubas wagnériens ont été recréés pour l’occasion. Notons que le « la » est accordé à 435 Hertz.

Parallèlement à ce travail sur les instruments, l’équipe des chercheurs et musicologues a œuvré de concert avec les chanteurs afin de travailler la prononciation de l’allemand comme il était parlé au19ème siècle ainsi qu’à la technique vocale de l’époque. Un travail a également été effectué sur les mimiques scéniques des chanteurs.

Le résultat des recherches, effectuées par les universités de Halle et Bayreuth ainsi que la Haute École de Musique et de Danse de Cologne, est publié sous le titre « Wagner Lesarten » (Lectures de Wagner). 

Venons-en maintenant à la prestation musicale du soir. L’orchestre, très engagé et attentif, déploie à la fois vivacité et précision. Les contrastes sont saisissants et parfaitement soulignés par Kent Nagano. Les passages symphoniques sont puissants et grandioses. Les tempi sont judicieusement choisis et donne une fluidité certaine à l’œuvre dont l’interprétation (sans pause) tourne autour de 2h10 (contrairement au 2h25 de Georg Solti et le Philharmonique de Vienne, par exemple). Un détail au niveau du positionnement des contrebasses doit tout de même être signalé. Les 7 contrebasses ne sont pas rassemblées au même endroit. Quatre contrebasses sont situées du côté jardin tandis que les trois autres sont situés du côté cour, ce qui donne un effet stéréo non négligeable.

Le casting des solistes, de grande qualité, est globalement égal et participe de manière inéluctable à la réussite de cette soirée.  Les trois filles du Rhin se distinguent par les différents trios qu’elles interprètent, bien qu’il faille un peu de temps pour ajuster  l’équilibre vocal entre Ania Vegry (Woglinde), Ida Adrian (Wellgunde) et Eva Vogel (Flosshilde). L’apogée de ce trio est, sans conteste, leur dernière intervention lors de la quatrième scène alors que les dernières paroles leurs reviennent.

Daniel Schmutzhard interprète le rôle d’Alberich et cela lui réussit à merveille. Son jeu, ses mimiques et sa voix correspondent très bien au personnage qu’il incarne. Ses qualités théâtrales sont également à souligner lorsqu’il alterne les passages chantés et parlés. Dans le rôle de Wotan, Simon Bailey fait preuve d’une grande maitrise aussi bien vocale que théâtrale avec une présence scénique indéniable, ce qui n’est pas pour déplaire puisqu’il est le maître des dieux. La mezzo-soprano Annika Schlicht, est une Fricka des plus impressionnante. Sa voix est à la fois puissante mais peut également être d’une pureté raffinée avec une palette de nuances large. 

Mauro Peter (Loge), Tansel Akzeybek (Froh), Nadja Mchantaf (Freia), Thomas Ebenstein (Mime), Christian Immler (Fasolt) et Tilmann Rцnnebeck (Fafner) participent eux aussi à la réussite de cette représentation avec des interprétations de qualité. Dominik Köninger, dans le rôle de Donner, déçoit quelque peu lors de ses premières interventions mais se rattrape dans la quatrième scène avec son incantation inspirée. Celle-ci se clôture par un coup de marteau (semblable à celui dans la Symphonie N°6 de Mahler) représentant la foudre avant la montée grandiose au Walhalla. Le dernier rôle, Erda, a pour interprète Gerhild Romberger. Dès sa première note, le public est comme hypnotisé par sa voix claire et sans fioritures. Elle incarne ce rôle avec un calme olympien et fascine. C’est un moment suspendu dans le temps dont elle nous fait grâce. 

Pour terminer, soulignons les endroits où suite aux recherches, il y a une alternance entre le texte chanté et parlé. Comme l’a expliqué le Dr. Kai Hinrich Müller, un texte parlé a un impact différent et plus dramatique que si il est chanté et cela est réalisé avec brio par l’ensemble des solistes lors de cette soirée.

Le public, complètement conquis par la prestation où la musique se suffit à elle-même, acclame et livre une standing ovation pendant plus de dix minutes afin de gratifier l’ensemble des protagonistes de cette soirée. Kent Nagano réussit un véritable tour de force en compagnie des musiciens du Concerto Köln, de l’Orchestre du Festival de Dresde et des 14 solistes.

L’Or du Rhin a été enregistré au mois d'août et sera prochainement disponible. Pour la suite de ce Ring historiquement informé, rendez-vous en mars 2024 pour la Walkyrie.

Cologne, La Philharmonie, 18 août 2023

Thimothée Grandjean

Crédits photographiques : Felix Broede

Thimothée Grandjean, Reporter de l’Imep.

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