Hommage au chef d’orchestre Stefan Soltész
Paul Hindemith (1895-1933) : Cardillac. Juliane Banse, soprano ; Michaela Selinger, soprano ; Torsten Kerl, ténor ; Oliver Ringelhahn, ténor ; Markus Eiche, baryton ; Jan-Hendrik Rootering, basse. Prague Philharmonic Choir, Münchner Rundfunkorchester, Stefan Soltész. 2013. Livret et synopsis en anglais et allemand. BR Klassik 900345.
Avec cette parution, le label de la Radio Bavaroise rend hommage au chef d’orchestre hongrois Stefan Soltész décédé inopinément en juillet 2022 à l’occasion d’une représentation de Die schweigsame Frau au Staatsoper de Munich. Fort peu médiatisé, ce chef d'orchestre était pourtant l'incarnation du kapellmeister d’opéra au métier solide comme un roc et au répertoire infini, des raretés aux créations les plus exigeantes. Sa carrière se déroula donc majoritairement dans la fosse avec des postes au Staatsoper de Hambourg, au Deutsche Oper de Berlin, au Staatstheater Braunschweig mais aussi à l’opéra Flamand d’Anvers et Gand de 1992 à 1997. Son poste principal fut auprès du Aalto-Theater de Essen (1997-2013), opéra qu’il plaça sous le feu des projecteurs des critiques en lui permettant d'obtenir le titre d'opéra de l’année 2008 du magazine Opernwelt. Sa haute compétence lui permet d’être invité régulier de grandes maisons d'opéras à travers le monde même si sa discographie ou vidéographie est numériquement limitée et se porte sur des raretés de Gazzaniga, Leoncavallo, Mendelssohn, Zemlinsky ou Reger.
Pour saluer sa mémoire et son art, la radio bavaroise commercialise une captation d’une version de concert de l’assez rare Cardillac de Paul Hindemith dans sa version originale de 1926. Ce qui n’est bien évidemment pas le choix le plus consensuel pour les oreilles du public. Créé à Dresde en 1926, Cardillac est librement inspiré de la nouvelle Mademoiselle de Scudéry de Ernst Theodor Amadeus Hoffmann dont le librettiste suisse Ferdinand ne retient que le pitsch. L’histoire est celle d’un célèbre orfèvre de la Cour de Louis XIV qui ne peut se résoudre à se séparer de ses réalisations et qui va assassiner ses clients pour récupérer ses œuvres ; une seconde histoire se déroule en arrière-plan sur fond de complexe oedipien d'une fille qui ne peut se résoudre à abandonner son père pour son amoureux.
Fidèle des principes avant-gardistes de la Nouvelle objectivité, Hindemith refuse tout lien entre la musique et le drame : la musique est décorrélée de l'histoire devenant une partie symphonique complètement autonome. Pas étonnant que la première, sous la direction de Fritz Busch, fut accueillie par des huées. L'œuvre est assez rare à la scène mais on se souvient de l’exceptionnelle production montée à l’Opéra de Paris, dans une mise en scène d’André Engel et sous la direction millimétrée de Kent Nagano (2005). Située dans le Paris des années folles d’Arsène Lupin et de Fantomas, cette production fut une réussite majeure. Plus près de nous, Cardillac a été présenté à l’Opéra Flamand et, pas plus tard que l’an passé, au Staatsoper de Vienne dans un revival d’une mise en scène de 2010. C’est indubitablement une partition de chef car il faut veiller à respecter la logique musicale, le sens du drame.
Au pupitre d’un orchestre inspiré et concentré, Stefan Soltész impose une direction ciselée et taillée comme un diamant. La partie orchestrale resplendit de mille éclats et de mille couleurs, telle une sculpture minérale poinçonnée avec soin. La distribution est de très haut vol : Michaela Selinger, Oliver Ringelhan et les formidables Juliane Banse Torsten Kerl, Jan-Hendrik Rootering. Tous sont des plus impliqués musicalement. La présence du Choeur Philharmonique de Prague est également un grand motif de satisfactions musicales
Certes, il y a deux grandes versions au disque : celle de Joseph Keilberth avec rien moins que Dietrich Fischer-Dieskau dans le rôle-titre (DGG) et celle de Gerd Albrecht à Hambourg (Wergo), mais cette nouvelle interprétation est une pierre angulaire.
On regrette par contre un livret minimal tant sur l”hommage au chef évoqué par une biographie d’une simple page ou l’absence de livret de l’opéra, même dans une version purement allemande.
Bien évidemment, ni l'œuvre, ni le chef n'attireront les happy-fews, mais c’est un hommage évident à l’art d’un musicien au professionnalisme et à la compétence capable de transcender toutes les difficultés. L’un des chefs dont on se rend compte, après leurs décès, du vide qu’ils laissent.
Son : 8 Notice : 6 Répertoire : 9 Interprétation : 10
Pierre-Jean Tribot
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