Tchaïkovski d'avenir avec le Quatuor Rolston

par

Pyotr IIyich TCHAÏKOVSKI (1840-1893) : « Souvenirs » : Quatuor à cordes n° 1 op. 11 ; Album pour les enfants op. 39, sélection dans un arrangement pour quatuor à cordes de Rostislav Dubinsky ; Sextuor pour cordes « Souvenir de Florence » op. 70. Quatuor Rolston ; Miguel de Silva, alto et Gary Hoffman, violoncelle (pour l’opus 70). 2019. Livret en anglais, français et allemand. 69.40. Fuga Libera FUG 757.

Constitué des violonistes Luri Lee et Emily Kruspe, de l’altiste Hezekiah Leung et de Jonathan Lo au violoncelle, le Quatuor Rolston, artiste associé en résidence lors de la saison 2018-2019 à la Chapelle Musicale Reine Elisabeth, signe ici son premier enregistrement, réalisé du 2 au 4 janvier 2019 et, pour les Souvenirs de Florence, du 18 au 20 juin, dans le studio Haas-Teichen de la Chapelle mis à sa disposition. Il s’agit d’une collaboration avec le Concours de Banff -situé au cœur du parc national du même nom dans la province canadienne de l’Alberta, au sud des Montagnes Rocheuses, compétition remportée par le Quatuor Rolston en 2016. Lors de leur présence à la Chapelle, les musiciens ont bénéficié des conseils de l’altiste Miguel da Silva avec lequel ils jouent le sextuor, complétés par un maître en résidence à la Chapelle, le violoncelliste canadien Gary Hoffman.

Au programme, de la musique de chambre de Tchaïkovski. Créé en 1871, le Quatuor n° 1 doit être considéré comme la première partition d’importance de la musique de chambre russe. A cette époque, le compositeur connaît des déboires : son opéra Voïévode n’a pas fonctionné et un autre, Ondine, n’a pas eu les faveurs du comité de lecture des Théâtres Impériaux. Quant à l’ouverture-fantaisie Roméo et Juliette, elle n’a pas rencontré l’accueil escompté lors de la première exécution. Par nécessité financière, il se lance dans la composition d’un quatuor, exercice presque nouveau pour lui qui n’a jusqu’alors écrit qu’un petit nombre de pièces dans le domaine chambriste. Cette fois, c’est le succès. On raconte que Tolstoï pleura un jour pendant l’Andante cantabile, ce deuxième mouvement d’une splendide musicalité dont la renommée sera telle que maints ensembles le joueront en l’isolant des trois autres parties ! Mais le quatuor dans son intégralité est une vraie merveille. Dans le premier mouvement, le climat de fraîcheur poétique du Moderato semplice se déploie avec passion dans l’Allegro giusto, avant le retour au calme. Juste après, l’auditeur est subjugué par cet Andante cantabile où apparaissent le thème plein de charme du Chant du jardinier que Tchaïkowsky aurait entendu par une fenêtre ouverte lors d’un séjour chez sa sœur, puis un thème italianisant. Emotion et rêve garantis, sinon envoûtement. Le violoncelle chante avec ampleur dans le trio du Scherzo, suivi par un énergique Final Allegro giusto, avec des envolées de fête populaire et une conclusion éblouissante. Le Quatuor Rolston donne de cette partition une version engagée, au lyrisme intense et aux contrastes virevoltants, dans un dialogue instrumental sans cesse relancé. Avant le Sextuor, on découvre encore cinq très brèves pièces extraites de l’Album pour enfants (24 pièces achevées en juillet 1878, écrites pour le piano), dans un arrangement pour quatuor à cordes effectué dans les années 1980 par l’ancien premier violon du Quatuor Borodine, Rostislav Dubinsky. Les Rolston en traduisent la simplicité, l’émotion, la verve ou la vigueur dans un élan commun des plus séduisants.

Le 15 janvier 1890 est une date heureuse pour Tchaïkovski : à Saint-Pétersbourg, la première de La Belle au bois dormant connaît un triomphe. Plein d’ardeur, le compositeur séjourne à Florence où il compose La Dame de Pique d’une plume facile. Il emporte de la capitale toscane une mélodie locale qui déclenchera son inspiration dans le second mouvement du Sextuor qu’il entame à son retour, sans avoir pris conscience de la difficulté de la tâche qui consiste à construire un espace dans lequel les combinaisons des six instruments puissent évoluer. On trouve l’écho de sa satisfaction finale dans sa correspondance, notamment en août de la même année lorsqu’il proclame : « Quel sextuor ! Et quelle fugue à la fin ! C’est un plaisir. C’est effrayant à quel point je suis content de moi ! ». Il a raison de l’être car l’œuvre, à laquelle Tchaïkovski apportera des révisions après une exécution privée, est d’une splendeur fascinante, « un moment radieux et ensoleillé » dans sa vie, comme le dit si bien le texte du livret, avant tous les malheurs qui vont fondre sur lui bientôt, jusqu’à l’issue finale. Il se révèle capable de donner à cette composition particulière une cohérence et un équilibre dans l’harmonie, le rythme et la profondeur des échanges. Ceux-ci ne cessent d’être partagés, un peu comme dans une vision chorégraphique au cours de laquelle la complexité devient naturelle, évidente, avec l’éloquence qu’il faut, mais surtout avec une inspiration qui ne faiblit jamais et qui prend même, notamment dans l’Allegretto moderato, une allure d’ampleur symphonique. La version des Rolston est une réussite complète, tant dans les moments mélancoliques ou poétiques que dans les aspects brillants. Miguel da Silva et Gary Hoffman sont les parfaits complices de l’investissement collectif, qui se traduit par d’irrésistibles élans communicatifs, jusqu’à l’ivresse sonore terminale qui procure une profonde sensation de bonheur. Cet enregistrement est à saluer d’une première pierre blanche dans la discographie future de ce jeune quatuor, dont on attend déjà avec impatience d’autres aventures.

Son : 10    Livret : 10   Répertoire : 10  Interprétation : 10

Jean Lacroix 

 

  

 

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