Retour triomphant d’Un Américain à Paris
Le Théâtre de Châtelet propose, jusqu’au 1er janvier, une reprise de sa propre production d’Un American in Paris de George et Ira Gershwin qui a remporté un immense succès il y a cinq ans. En effet, après la création en novembre 2014 à l’initiative de Jean-Luc Choplin alors directeur du Châtelet, le spectacle mis en scène et chorégraphié par Christopher Wheeldon est parti à Broadway et a remporté quatre Tony Awards avant d’effectuer une longue tournée mondiale : Etats-Unis, Canada, Japon, Chine, Taiwan… Par ailleurs, le film du spectacle a été diffusé dans 43 pays.
Du film à la scène
George Gershwin a composé une partition orchestrale d’Un American in Paris lors de son séjour parisien dans les années 1920. L’œuvre a donc originellement le parfum des années folles, mais les klaxons de taxis qui y sont introduits rappellent vaguement le mouvement futuriste. Le film culte réalisé par Vincent Minnelli en 1951 s’avérant une grande réussite, concrétisée par 6 Oscars dont celui du meilleur film, le compositeur a souhaité le monter sur scène. Mais les tentatives de différents producteurs n’ont jamais abouti. Il fallut attendre le 21e siècle pour que Jean-Luc Choplin approche les ayants droit pour produire le spectacle à Paris et organise un workshop grâce à une association entre Paris et Amérique. Le travail de Christopher Wheeldon porte alors ses fruits pour débloquer les fonds nécessaires malgré les projets similaires imaginés par d’autres producteurs américains.
Après des répétitions à New York, non pas un, mais de nombreux Américains, artistes et personnels de la production, débarquent à Paris pour préparer la première mondiale fixée le 22 novembre 2014. L’excellente idée de Christopher Wheeldon consistant à situer l’action tout de suite après la libération de Paris rend palpable la joie des personnages de se trouver dans la capitale française et met l’accent sur « le parfum parisien » que le metteur en scène voulait emporter jusqu’à Broadway !
Succession rythmée des scènes sans aucun temps mort
Ce qui frappe tout au long du spectacle, c’est la fluidité des actions sans aucun temps mort, dans les décors constamment changeants de Bob Crowly. Ceux-ci se déplacent grâce aux roulettes sous les éléments, ce qui permet de dégager le plateau habituellement occupé par des dispositifs d’installation et favorise le déploiement en toute liberté des danseurs, sous les lumières inventives de Natasha Katz. L’utilisation efficace de châssis-panneaux qui servent tantôt de murs extérieurs tantôt de décorations intérieures, impressionne. À ces véritables scènes mobiles s’ajoutent des séquences vidéo ponctuelles (de Benjamin Pearcy) qui meublent le fond de la scène mais aussi les panneaux eux-mêmes : immeubles haussmanniens, grand magasin, cafés, vue sur la Seine… Les images s’animent au rythme de la musique aussi bien que les costumes au mouvement du corps, comme pour symboliser l’effervescence de la Ville Lumière de l’après-guerre.
Livret et musique enrichis
Le travail le plus difficile aurait été l’adaptation du livret avec une part importante de réécriture. Pour apporter à l’histoire une consistance à la hauteur de son exigence théâtrale, Craig Lucas l’a donc située, comme déjà dit, immédiatement après la libération de Paris. Ainsi, le peintre Jerry est un ancien soldat américain qui devait quitter la France après sa mission mais reste finalement après avoir rencontré Lise qu’il appellera Lisa (prononcer Laïza) ; le milieu bourgeois de Milo et des Baurel est dépeint de manière à accentuer le contraste avec la situation de Jerry. La révision du livret suscite l’enrichissement de la musique à travers des arrangements et adaptations musicaux (Rob Fischer), des orchestrations (Christopher Austin) ou arrangements de danse (Sam Davis). On entend ainsi The Man I Love chanté par Lise et les célèbres I Got Rhythm et I’ll Build a Stairway to Paradise dansés. Outre les pages symphoniques originelles d’An American in Paris, des passages du Concerto en fa majeur, l’Ouverture cubaine, le Deuxième Prélude ou le Deuxième Rhapsodie s’intègrent avec bonheur. Dans le S’Marvellous Orchestra spécialement constitué pour l’occasion, on repère des noms connus des mélomanes français tels Pauline Buet (violoncelle, ensemble I Giardini), Yoan Héreau (ancien pianiste chef de chant de l’Opéra National de Paris), ou encore Bleuenn Lemaitre (violon, Quatuor Psophos). Les vingt-cinq musiciens tout au plus réussissent, grâce à une orchestration impeccablement adaptée, à créer un véritable effet sonore coloré et varié, digne d’un grand orchestre.
Les chanteurs-acteurs de pointure
Tous ces éléments qui relèvent de chefs-d’œuvre resteraient toutefois lettres mortes sans les chanteurs-acteurs qui les animent. Auditionnés à New York, tous sont à la fois d’excellents chanteurs et des danseurs aguerris, à commencer par Leanne Cope, créatrice du rôle de Lise Dassin en 2014. Elle assure admirablement ce rôle imposant, constamment sur scène. La pureté de son timbre, son véritable atout, n’écrase à aucun moment les oreilles malgré la sonorisation. Quand elle danse, chacun de ses mouvements dégage autant d’élégance que de dynamisme rafraichissant. À ses côtés, Ryan Steele incarne un Jerry à la fois candide et passionné qui inspire beaucoup de sympathie. Henri, le fiancé de Lise, est tenu par Michael Burrell dont le jeu est en parfaite harmonie avec le rôle. Les autres solistes sont eux aussi parfaitement dans la peau de leurs personnages : Emily Ferranti en riche mécène Milo ; les magnifiques Scott Willis et Julia Nagle en Mr. et Mme Baurel, les parents d’Henri… Les danseurs d’ensemble et de « swing » élèvent la prestation scénique d’un cran tant ils sont dans une synchronisation millimétrée.
La clarté poétique portée par l’énergie et l’excellence : tels sont les mots qui nous venaient à l’esprit en quittant la salle.
Crédits photographique : Cyril Moreau