Trois albums de concertos de Penderecki pour le label Dux…  qui n’oublie pas Bacewicz 

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Grazyna BACEWICZ (1909-1969) : Concerto pour violoncelle et orchestre n° 2. Krzysztof PENDERECKI (1933-2020) : Concerto pour violoncelle et orchestre n° 2. Roman Jablonski, violoncelle ; Grand Orchestre Symphonique de la Radio et de la Télévision polonaises : Jerzy Katlewicz et Tadeusz Strugała .1984 et 1996. Livret en anglais et en polonais. 53.20. Dux 1605.

Même si la presque simultanéité de la parution de trois albums de l’actif label polonais Dux concentre l’intérêt sur des concertos de Penderecki, le souvenir du demi-siècle de la disparition de Grazyna Bacewicz, décédée en 1969, souvenir bien discret l’an dernier, est aussi présent. Née à Lodz, cette créatrice y étudie le piano et le violon ; suite au déménagement de sa famille à Varsovie, elle se perfectionne au Conservatoire, où elle apprend aussi la composition. En 1932, grâce à une subvention accordée par Ignacy Jan Paderewski, elle suit l’enseignement de Nadia Boulanger à Paris, où elle bénéficie aussi de cours complémentaires de violon auprès de Carl Flesch. Après une mention au Concours Wieniawski organisé à Varsovie en 1935, elle se lance dans une carrière de soliste qui va durer une petite vingtaine d’années ; elle compose aussi et se consacre à l’enseignement. Son catalogue est riche de partitions orchestrales et concertantes, de musique de chambre et instrumentale, ainsi que dans le domaine de l’opéra et du ballet. Grazyna Bacewicz est adepte d’un style néoclassique où les dissonances et les recherches en termes de rythme sont très présentes. Dux restitue ici un enregistrement effectué dans les studios de la Radio/TV polonaise de Katowice le 5 décembre 1996.

Ecrit en 1962, le Concerto pour violoncelle n° 2 de Bacewicz est une commande du virtuose espagnol Gaspar Cassado. En trois courts mouvements d’une durée globale de moins de dix-huit minutes, l’œuvre est dominée par des effets sonores, des clusters et des sections chromatiques, le violoncelle développant dans le même temps son autonomie propre, dans un contexte chaleureux, parfois langoureux. Si l’Allegro initial contient des motifs rythmés, l’Adagio esquisse un espace de respiration dans une atmosphère lyrico-onirique aux bruits insolites, que l’Allegro conclusif emporte dans une grande césure entre le soliste au chant sage ou éperdu, et l’orchestre animé par un motorisme raisonnablement percutant. 

La deuxième partie du programme est consacrée au Concerto pour violoncelle n° 2 de Penderecki. Cette partition de 1982 est une commande du Philharmonique de Berlin auquel il est dédié, ainsi qu’à Mstislav Rostropovitch qui le créa dans la capitale allemande, avec le compositeur à la direction, le 11 janvier 1983. Les deux artistes l’enregistreront de façon exemplaire pour Erato en 1987. Page fascinante, l’oeuvre se situe à la frontière entre un romantisme tardif et un univers de dissonances savamment construit pour souligner un discours très dense et très expressif. Le climat est d’abord mystérieux, puis lyrique, laissant au violoncelle le temps d’installer sa présence narrative, qui sera profonde et déterminée tout au long de l’œuvre. L’orchestre va connaître maints moments percussifs, permettant au soliste d’engager un dialogue, parfois sous forme de lutte, avec les forces instrumentales. Penderecki a l’art de transformer les diverses atmosphères en leur conférant un potentiel descriptif proche de l’expérimentation, tout en maintenant le chant du soliste dans une virtuosité qui n’est jamais démentie et donne parfois le vertige. Magnifique partition, qui combine le grandiose à une force proche de l’expressionnisme, dont la méditation finale touche du doigt le côté le plus sensible d’une aventure inspirée. 

L’enregistrement date du 3 mars 1984, toujours dans les studios de la Radio/TV polonaise. Roman Jablonski est le soliste des deux concertos. La gravure de l’oeuvre Penderecki a été réalisée peu de temps après la création berlinoise de Rostropovitch, mais le livret ne donne aucune indication quant aux circonstances techniques. Sauf erreur, il semble que, comme la partition de Bacewic, elle soit demeurée dans les archives jusqu’à aujourd’hui. Né à Gdansk en 1945, fils de compositeur, Jablonski étudie au Conservatoire de Moscou et à l’Université de Yale. Dans les années 1990, il fait un long séjour en Espagne où il organise diverses activités musicales. Proche de Witold Lutoslawski, il joue sous sa direction et à plusieurs reprises son Concerto pour violoncelle, qu’il enregistrera en 2006. Dans les partitions de Bacewicz et Penderecki, qu’il interprète sur un instrument de 1692 construit par Giovanni Grancino, Jablonski est attentif aux moindres détails pour mettre en valeur la variété des contrastes imaginés par les deux créateurs. Il apparaît cependant plus didactique qu’inspiré et n’est par ailleurs pas toujours bien servi par la prise de son, un peu mate, ni par les deux chefs, Tadeusz Strugala (°1935) et Jerzy Katlewicz (1927-2015), qui ne soulignent pas avec assez de crudité les véhémences et les aspérités.

Krzysztof PENDERECKI (1933-2020) : Concerto pour violoncelle et orchestre n° 2 ; Sonate pour violoncelle et orchestre. Maja Bogdanovic et Danjulo Ishizaka, violoncelle ; Orchestre Sinfonia Iuventus Jerzy Semkow,  Krzysztof Penderecki et Maciej Tworek. 2019. Livret en anglais et en polonais. 48.25. Dux 1572.

On peut s’en convaincre dans le cas du Concerto n° 2 de Penderecki en découvrant le volume n° 9 de la série consacrée par Dux aux concertos du compositeur. Ici, la soliste est Maja Bogdanovic (Belgrade, 1982). Elle a étudié au Conservatoire National Supérieur de Musique de Paris et a été lauréate de plusieurs concours. Elle a créé un grand nombre d’œuvres contemporaines (Bacri, Goubaïdoulina, Tanguy…) et elle a interprété ce Concerto n° 2 sous la direction de Penderecki ; elle figurait parmi les artistes invités à se produire lors des festivités qui ont célébré les 80 et les 85 ans du compositeur. Elle est littéralement portée par la partition qu’elle empoigne avec fougue dans un contexte de chaleur communicative et d’accents déclamatoires qui font mouche. Le geste est plus large que chez Jablonski, il est plus mordant, plus narratif aussi au long de ce parcours en huit parties. Maja Bogdanovic apporte de la densité aux discours mystérieux, de la verve aux différentes atmosphères, et surtout de la clarté dans le propos, souvent à la limite de la rupture, tant il est engagé et sans chute de tension. L’orchestre la suit comme un seul homme, répondant à toutes ses interventions avec passion, déclinant la richesse de l’orchestration avec clarté. Notre préférence va à cette version aux contenus flamboyants plutôt qu’à celle de Jablonski.  

Le couplage du CD est cohérent dans l’esprit, avec pour complément la Sonate pour violoncelle et orchestre de 1964, créée par Siegfried Palm et l’Orchestre de la Radio du Sud-Ouest allemand (Baden-Baden) dirigé par Ernest Bour. Ces deux courts mouvements datent de la période expérimentale de Penderecki, avec des exigences très virtuoses pour le soliste face à de longs motifs de cordes et des phases très percussives. Né à Bonn en 1979 de parents germano-japonais, le violoncelliste Danjulo Ishizaka a étudié à Berlin où il a fait ses débuts à l’âge de 17 ans. Il a étudié avec Boris Pergamenschikov et Tabea Zimmermann et il a suivi des leçons de Rostropovitch. Il donne de cette courte partition de Penderecki une version convaincante, colorée et pleine d’énergie farouche.

Krzysztof PENDERECKI (1933-2020) : Double Concerto pour violon, alto (ou violoncelle) et orchestre, version pour accordéon arrangée par Maciej Frackiewcz ; Concerto pour flûte et orchestre de chambre, version pour saxophone soprano de Bartlomiej Dus. Maciej Frackiewicz, accordéon ; Bartlomiej Dus, saxophone soprano ; Orchestre Sinfonia Iuventus  Jerzy Semkow, direction : Krzysztof Penderecki et Maciej Tworek. 2018-2019. Livret en anglais et en polonais. 44.14. Dux 1571. 

Le 8e volume de la série vouée aux concertos de Penderecki par le label Dux propose deux arrangements effectués par des instrumentistes. Il s’agit ici de curiosités qui démontrent que la production de Penderecki est à l’origine d’un incessant foisonnement. Le Double Concerto de 2012 était destiné à marquer le bicentenaire du Musikverein de Vienne. Construite dans un style néoromantique, cette partition imaginative et ornée a fait l’objet en 2018 d’un arrangement pour accordéon par Maciej Frackiewicz, lauréat en 2012 d’un concours international pour son instrument en Espagn. Ce soliste a notamment enregistré Under the Sign of Scorpio de Sofia Gubaïdulina pour bayan (accordéon chromatique apparu vers 1850) et grand orchestre, qui date de 2003. Il a travaillé sa version avec Penderecki, puis l’a créée avant de la graver, sous sa direction, avec le Sinfonia Iuventus. L’instrument confère des couleurs inattendues et une chaleur séduisante à un univers où il se déploie dans des cadences qui dialoguent habilement avec l’orchestre. L’accordéon y acquiert de beaux élans de noblesse.

Le Concerto pour flûte de 1992 est une commande de l’Orchestre de Chambre de Lausanne, et il est dédié à Jean-Pierre Rampal. Deux mouvements lyrico-impressionnistes, aux contrastes expressifs et parfois très scandés, conduisent le soliste d’un univers animé vers une dimension chatoyante qui n’est pas exempte d’une certaine introspection. Cette partition a connu des versions alternatives, dont la plus célèbre est celle pour clarinette qui date de 1995 et a été gravée par Sharon Kam. Ici, c’est le saxophone soprano qui en est le moteur, dans une transposition de Bartlomiej Dus. Cet artiste a notamment étudié aux Conservatoires de Paris et de Versailles et met régulièrement en valeur des oeuvres de créateurs polonais. Son arrangement date de 2017 et il a été apprécié par Penderecki qui a supervisé cette gravure réalisée en décembre 2019 sous la direction de Maciej Tworek. 

Si aucune page de Penderecki n’est négligeable, quelle qu’en soit la forme, on ne considérera pas ces arrangements comme prioritaires mais plutôt comme le témoignage de l’empreinte laissée par cette figure disparue il y a peu et qui a profondément marqué l’univers artistique de la PoloNote globale pour les trois CD : 8

Jean Lacroix    

  

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