Verdi par Ildar Abrazakov
Giuseppe Verdi (1813-1901) : airs d'opéra. Ildar Abrazakov, basse ; Rolando Villazon, ténor : Choeur et orchestre métropolitain de Montréal, Yannick Nézet-Seguin. 2019-71’11-présentation en anglais et allemand-textes en italien, anglais et allemand- chanté en italien-DG48336096
Venu de Bachkirie, près de l’Oural, la basse Ildar Abdrazakov a déjà derrière lui une brillante carrière sur les scènes d’opéra du monde entier. A l’automne 2017, lorsqu’à l’acte V de Don Carlos, Philippe II glisse dans un murmure Elle ne m’aime pas, il met Paris à ses pieds : toute la salle suspend son souffle, offrant l’un de ces moments où l’émotion dramatique, instrumentale, vocale devient si belle et si poignante qu’elle efface tout ce qui n’est pas elle. La prosodie française potentialise tellement la partition et le drame intérieur que l’on regrette ici le choix de la version italienne (Ella giammai m’amo). La tension y paraît moins impérieuse tandis que le côté ombreux du timbre, une diction légèrement feutrée, érodent les reliefs d’une page qui reste néanmoins d’une haute musicalité et dont Massenet se souviendra en composant Werther.
Le programme de ce récital entièrement consacré à Verdi aligne des extraits d’Attila (1846), Don Carlo (1884), Nabucco (1842), Boccanegra (1857), Oberto (1839), I vespri siciliani (1855), Luisa Miller (1849), Macbeth (1847) et Ernani (1844), sans souci de cohérence chronologique, c’est à dire également stylistique puisque la ‘’manière’’ du compositeur a considérablement évolué à partir de Macbeth et de Luisa Miller.
Les personnages interprétés appartiennent à la catégorie des pères douloureux, hommes mûrs, tourmentés, qui triomphent de leurs angoisses tel Attila, parfois criminels (Wurm), souvent nobles et héroïques. L’aria de Procida O patria, o cara patria des Vespri siciliani en donne une illustration accomplie. La musicalité d’Ildar Abdrazakov convient particulièrement à ce type de psychologie à laquelle il prête une humanité teintée de mélancolie, renforcée par un timbre mi-obscur et un legato onctueux au vibrato final parfois insistant (Sovra gl’idoli spezza-a-a-ti, Zaccaria). Certes le tempérament de la basse russe se prête moins volontiers au mordant et à l’éclat de la méchanceté, mais sa vaillance comme son art des nuances font de son portrait verdien une réussite (par exemple l’air de Banco dans Macbeth et surtout celui de Silva dans Ernani).
L’Hymne O tu Palermo (I Vespri siciliani), si caractéristique de l’auteur de Nabucco, met en lumière un orchestre frémissant où chaque timbre instrumental, bien défini, irradie dans le courant d’une impulsion très contrôlée. La direction du chef canadien Yannick Nézet-Séguin, limpide, calibrée, toujours en situation, montre à quel point la fréquentation initiale de Mozart et des belcantistes, Rossini compris, qu’il partage avec la basse russe, a forgé leur art. Clarté et souplesse font merveille dans ce répertoire où la subtilité d’orchestration et le génie mélodique du père de l’opéra italien sont sublimés sans ostentation.
Pour ce deuxième récital Verdi enregistré chez DG, le ténor Rolando Villazon donne une réplique fluide et naturelle, pour quelques airs, à son collègue et ami y mettant tout le panache qu’on lui connaît.
Bénédicte Palaux Simonnet
Son : 10 – Llivret : 8 – Répertoire : 10 – Interprétatio : 10