En 1995 a été fondé à Kiev le Concours International pour jeunes pianistes en mémoire de Vladimir Horowitz, né en cette ville le 1^er octobre 1903 (même si aujourd’hui est admis le fait qu’il aurait vu le jour à Berdichev). En vingt-sept ans, plus de 1300 musiciens ont participé à cette ‘compétition’. En ces jours-ci, à cause de la situation en Ukraine, la Fédération Mondiale des Concours Internationaux de Musique a proposé d’organiser la manifestation à Genève, ce qui a occasionné un nombre record d’inscriptions, soit 303 pianistes provenant de 37 pays différents. En sept jours, en la Salle Franz Liszt du Conservatoire, se sont produits 29 candidats, réduits à 15 pour le deuxième round, à 9 pour le troisième, à 3 pour le final. Et ce concert conclusif a eu lieu au Victoria Hall le 21 avril en réunissant des membres de l’Orchestre Symphonique National d’Ukraine et quelques-uns des chefs de pupitre de l’Orchestre de la Suisse Romande placés sous la direction de Kirill Karabits, lui aussi natif de Kiev.

Paraît d’abord Julian Trevelyan, jeune artiste anglais de vingt-quatre ans, lauréat de divers concours et se perfectionnant actuellement à l’Ecole Normale de Musique Alfred Cortot à Paris. Dans le catalogue des vingt concerti à disposition des candidats, il choisit le 23^e Concerto en la majeur K.488 de Mozart qu’il aborde avec un jeu sobre et clair en bénéficiant du tempo moderato que Kirill Karabits impose à l’Allegro initial en demi-teintes. En un legato magnifique, le soliste privilégie la ligne de chant en y ajoutant quelques abbellimenti discrets que ponctue la main gauche avant de parvenir à la cadenza au phrasé libre comme si elle était improvisée. L’Adagio est développé dans une fluidité de coloris qui le rapproche de la véritable aria de belcanto abondamment ornementée, tandis que le Final est un Allegro assai qui confine au Presto par la brillance du trait que le solo assimile au tutti en rendant le discours pimpant.

Intervient ensuite Roman Fediurko, âgé de dix-huit ans, natif de Kiev résidant à Graz, lauréat du Concours Horowitz pour groupe junior en 2016. Il présente le célèbre Concerto en la mineur op.54 de Robert Schumann, en lançant avec intrépidité le redoutable enchaînement d’accords du début à la précision extrême, alliant la poésie la plus délicate à la houle des arpèges déferlant sous un legato intense. Soutenu par la profondeur des basses, chaque segment mélodique est distillé en une sonorité magnifique qui rend le jeu perlé et la cadenza intimiste. Et le trille, d’une rare perfection, débouche naturellement sur une coda toute en finesse. L’Intermezzo médian cultive les contrastes d’expression pour parvenir à une transition en touches vaporeuses amenant un Allegro vivace, plus extérieur, qui étire les phrases sinueuses à fleur de clavier avec une limpidité confondante qui semble parfaitement naturelle. 

Le programme s’achève par le 1^er Concerto en mi bémol majeur de Franz Liszt choisi par Kyoungsun Park, un Coréen de trente ans, se perfectionnant auprès de Dmitri Alexeev au Royal College of Music de Londres et de Michael Schäfer à Munich. A un tutti éclatant, il répond par une suite d’octaves rapides et de traits d’ornementation arachnéens débouchant sur un cantabile suave. Sur un canevas des cordes en pianissimo, le Quasi Adagio fait sourdre de douces larmes qu’irise un trille pétillant, tandis que l’Allegretto vivace relâche la tension par ses passaggi volubiles. Quel dommage que l’Allegro marziale animato implante un panache trop extérieur qui frisera l’exagération dans un Più mosso conclusif à perdre haleine…

Paul-André Demierre

Genève, Victoria Hall, 21 avril 2023

Après de longues délibérations du jury, Kyoungsun Park décrochera le 3^e prix, Julian Trevelyan, le 2^e, Roman Fediurko, le 1^er, ce qui semble parfaitement justifié à tout spectateur qui a assisté à ce concert de haut niveau.