A la Scala, une ‘Francesca da Rimini’ à redécouvrir

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Qui sait pourquoi, Francesca da Rimini, l’ouvrage le plus célèbre de Riccardo Zandonai, n’a pas figuré à l’affiche de la Scala de Milan depuis… 59 ans ; effectivement, les cinq dernières représentations y ont été données entre le 21 mai et le 4 juin 1959 avec Magda Olivero, Mario Del Monaco et Giangiacomo Guelfi sous la direction de Gianandrea Gavazzeni.

Néanmoins durant ce laps de temps, une Raina Kabaivanska, une Ilva Ligabue ont valorisé régulièrement le rôle-titre, avant que le Met ne se décide à monter, en mars 1984, une fastueuse production conçue par Piero Faggioni et illustrée par Renata Scotto, Placido Domingo et Cornell MacNeil sous la baguette de James Levine.
Pour sa mise en scène, David Pountney prend pour point de mire l’auteur du drame, Gabriele D’Annunzio, qui avait rédigé la tragédie pour sa muse et amante, l’actrice Eleonora Duse, tout en se fixant sur ses centres d’intérêt, les femmes et la guerre. C’est pourquoi le décor de Leslie Travers comporte un gigantesque torse féminin, adossé à une paroi hémisphérique précédée d’une vasque à escaliers, d’où se dégage une étrange sensualité ; mais cette effigie sera lacérée de flèches et de lances au moment où l’espace idyllique sera refermé par une tour de combat, avec canon à chaque meurtrière. A sa réouverture, un biplan fracassé par les combats jouxtera un livre énorme dont Francesca tournera nerveusement les pages afin d’y cacher son amour réprouvé. Et c’est au-dessus de ce grimoire que descendra une épée de Damoclès, alors que s’entrechoqueront le sang bouillonnant de la passion et le fer glacé de la vengeance. Sous les lumières blafardes de Fabrice Kebour, les costumes dessinés par Marie-Jeanne Lecca mêlent les styles et les époques en faisant revêtir aux fils Malatesta et à leurs sbires, de noires cuirasses, aux femmes du palais et au bouffon, des brocarts rouge et or, alors que le blanc sera réservé aux deux amants.
A la tête des Chœurs et Orchestre de la Scala, Fabio Luisi rend pleinement justice à une partition fascinante dont l’écriture instrumentale joue un rôle capital, celui de catalyser les passions, d’une véhémence suffocante dans les tableaux de guerre, d’une transparence préraphaélite dans les scènes intimistes où serpente l’interdit.
Sur scène, une Maria José Siri qui nous avait laissé sur notre faim avec une Butterfly mi-figue, mi-raisin, se jette ici à corps perdu dans une incarnation de Francesca, toute de fermeté péremptoire jusqu’à oser braver la mort, ce que dénote un timbre chauffé à blanc osant les éclats sonores les plus redoutables en un aigu d’une rare consistance. Face à elle, le ténor argentin Marcelo Puente est encore un peu vert pour camper un Paolo il Bello séduisant ; car le son est trop uniforme dans une émission légèrement bêlante ; mais, au moins, le personnage existe… Par contre, Gabriele Viviani a la noirceur de Giovanni lo Sciancato, l’époux estropié qui crie vengeance, tandis que Luciano Ganci provoque le dégoût avec un Malatestino éborgné qui malmène nonchalamment la tête d’un supplicié. Au contraire, l’Ostasio de Costantino Finucci est image de bonté fraternelle, ce qui qualifiera aussi le groupe des suivantes, notamment l’esclave Smaragdi d’Idunnu Münch. Et le baryton Elia Fabbian se montre haut en couleurs sous les traits du jongleur bouffon. Lorsque le rideau tombe, fusent les hourras d’un public conquis par cette redécouverte.
Paul-André Demierre
Milano, Teatro alla Scala, le 13 mai 2018

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