A l’Opéra Bastille, un Lac des Cygnes fascinant

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Pour la période des fêtes de fin d’année, le Ballet National de l’Opéra de Paris donne seize représentations du Lac des Cygnes en reprenant la production que Rudolf Noureyev avait conçue en 1984 pour cette compagnie en sollicitant le concours d’Ezio Frigerio pour les décors, de Franca Squarciapino pour les costumes et de Vinicio Cheli pour les lumières. 

Se basant sur la chorégraphie originale de Marius Petipa et de son assistant, Lev Ivanov, présentée au Théâtre Marinsky de Saint-Pétersbourg en janvier 1895, il en élabora sa propre conception dans le but de revaloriser la danse masculine en développant le rôle du Prince Siegfried et celui, fort ambigu, du Précepteur Wolfgang qui prendra par la suite les traits du sorcier Rothbart. Face à ce double personnage, Odette est la princesse métamorphosée en cygne blanc qui deviendra, au troisième acte, Odile, le maléfique cygne noir. 

Dès l’Introduction prise à tempo extrêmement lent par Vello Pähn à la tête de l’Orchestre de l’Opéra National de Paris, la trame est développée selon le champ de vision du Prince qui se réfugie dans la mélancolie et l’introspection. Mais, d’emblée, sa vision tourne au cauchemar lorsqu’il voit s’élever dans les airs une jeune femme enveloppée dans ses longs voiles blancs, emportée par un homme/rapace terrifiant. Tout au long du premier acte, il s’isole dans un monde clos que les jeunes courtisans tentent d’approcher sans pouvoir y parvenir, tant le Précepteur campé magistralement par Jack Gastowtt fait continuellement obstruction. Et Siegfried, dansé par Marc Moreau, ébauche dans sa Variation nombre de figures caractéristiques telles que la pirouette, tandis que le Corps de ballet, en tenues rose violacé, se fait valoir dans la célèbre Valse aux formules diversifiées exigeant de chacun une virtuosité aguerrie, ce que l’on dira aussi de la Danse des couples confiée à seize danseurs, impressionnants par leur technique policée et leur parfaite cohésion d’ensemble. Dans le Pas de trois requérant la participation d’Hannah O’Neill et de Roxane Stojanov, le jeune Andrea Sarri éblouit par l’aisance de ses sauts. Alors que l’atmosphère s’obscurcit, Wolfgang tend insidieusement une arbalète au Prince qui, sur l’enchaînement de deux tableaux musicaux, parvient au lac de l’acte II en développant de sinueuses arabesques. Apparaît Odette, le cygne blanc incarné par Héloïse Bourdon, traduisant sa panique par son regard désespéré et ses gestes convulsifs qui finiront par trouver une assise rassérénée dans le Pas de deux, adagio où elle prend le temps de détailler chaque mouvement. Continuellement, Rothbart le sorcier déploie ses ailes gigantesques pour apeurer les compagnes d’infortune de leur reine qui tentent de la protéger sans pouvoir empêcher la séparation d’avec Siegfried. 

Par volonté de contraster chaque tableau, le troisième acte nous immerge dans un palais florentin de la Renaissance aux coloris flamboyants. S’y déroule un divertissement rigoureusement huilé où se succèdent les scènes de genre pittoresques avec les diverses danses, hongroise, russe, espagnole, napolitaine s’achevant par une mazurka flamboyante. Le Pas de deux du Cygne noir est en réalité un pas de trois où le travail des portés échoit tant au génie malfaisant qu’au Prince. Cette double approche magnifie une Odile hautaine, sûre d’elle-même, prenant à son compte la gestique du Cygne blanc afin de subjuguer par les pirouettes les plus insensées son naïf partenaire qu’elle tournera en dérision. Ce n’est qu’à cet instant précis que le jeune homme comprendra la duperie de son Précepteur et ses menées machiavéliques. Le dernier tableau se fige devant le lac du désarroi où chaque cygne se cache sous ses ailes, en tentant de s’étirer pour clamer son désespoir. Une fois encore, un Pas de deux réunira les deux victimes du sort, bouleversantes dans leurs ultimes étreintes, avant que l’oiseau de malheur n’emporte dans les airs la malheureuse Odette…

Enthousiasmé par la qualité de ce spectacle dont était donnée la 305e représentation, le public de l’Opéra Bastille applaudit à tout rompre les premiers rôles, le chef d’orchestre et l’ensemble du Corps de ballet, exceptionnel dans ce genre d’ouvrage du répertoire.

Paris, Opéra Bastille, le 28 décembre 2022

Paul-André Demierre

Crédits photographiques : Yonathan Kellerman



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