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A  l’Opéra Bastille, une éblouissante Paquita   par Paul-André Demierre

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Durant la période des fêtes, le Ballet de l’Opéra de Paris a la lourde tâche de présenter conjointement deux grands ballets-spectacles à l’Opéra Bastille et au Palais Garnier. Pour vingt-deux représentations à partir du 6 décembre, la première scène affichait cette année Paquita dans la reconstitution de Pierre Lacotte, tandis que la seconde proposait Play d’Alexander Ekman sur une musique de Mikael Karlsson. Mais de lourdes récriminations d’un groupe de danseurs concernant la rémunération du temps de préparation d’avant spectacle ont entraîné une grève ainsi que la suppression de quelques-unes des soirées initiales.

Néanmoins le 28 décembre, devant une salle comble, l’Opéra Bastille a pu représenter Paquita, un ballet de Joseph Mazilier créé à l’Opéra de Paris le 1er avril 1846 avec Carlotta Grisi et Lucien Petipa, amplifié en 1881 par Marius Petipa pour Saint-Pétersbourg puis tombé dans l’oubli à partir de la Première Guerre Mondiale. Mais en 2001, Pierre Lacotte, s’inspirant des deux chorégraphies susmentionnées, décida de reconstituer ce ballet en deux actes et trois tableaux en utilisant les fragments retrouvés de la conception originale de Joseph Mazilier et en concevant la chorégraphie de tout ce qui était perdu. Quant à la musique, n’avaient été conservés au répertoire de plusieurs compagnies que le Pas de deux, le Pas de trois et le Grand Pas conclusif composés par Ludwig Minkus pour Saint-Pétersbourg. Et c’est au chef d’orchestre David Coleman qu’incomba le soin d’arranger la partition originale d’Edmé-Marie-Ernest Deldevez en incluant les adjonctions russes de 1881. Et c’est un natif de Saint-Pétersbourg, Mikhail Agrest, qui la dirige avec une indomptable énergie en sollicitant de chaque pupitre de l’Orchestre de l’Opéra National de Paris de chatoyants  coloris et une précision du trait qui pallient le conventionnel désuet d’une partition inégale que les ajouts russes font miroiter comme de précieuses pépites.

L’argument de l’ouvrage est tout aussi mince : dans la Vallée des Taureaux à proximité de Saragosse occupée par les troupes napoléoniennes, la jeune gitane Paquita refuse les avances de Lucien d’Hervilly, fringant aristocrate, en raison de sa condition trop modeste. Inigo, le chef des bohémiens, veut garder Paquita auprès de lui et complote l’assassinat de Lucien avec Don Lopez de Mendoza, le gouverneur farouchement anti-français. Mais un médaillon révélera à la jeune femme qu’elle est en réalité l’enfant du Comte d’Hervilly enlevée par les gitans. Elle pourra donc épouser Lucien.

A l’Opéra Bastille, un Lac des Cygnes fascinant

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Pour la période des fêtes de fin d’année, le Ballet National de l’Opéra de Paris donne seize représentations du Lac des Cygnes en reprenant la production que Rudolf Noureyev avait conçue en 1984 pour cette compagnie en sollicitant le concours d’Ezio Frigerio pour les décors, de Franca Squarciapino pour les costumes et de Vinicio Cheli pour les lumières. 

Se basant sur la chorégraphie originale de Marius Petipa et de son assistant, Lev Ivanov, présentée au Théâtre Marinsky de Saint-Pétersbourg en janvier 1895, il en élabora sa propre conception dans le but de revaloriser la danse masculine en développant le rôle du Prince Siegfried et celui, fort ambigu, du Précepteur Wolfgang qui prendra par la suite les traits du sorcier Rothbart. Face à ce double personnage, Odette est la princesse métamorphosée en cygne blanc qui deviendra, au troisième acte, Odile, le maléfique cygne noir. 

Dès l’Introduction prise à tempo extrêmement lent par Vello Pähn à la tête de l’Orchestre de l’Opéra National de Paris, la trame est développée selon le champ de vision du Prince qui se réfugie dans la mélancolie et l’introspection. Mais, d’emblée, sa vision tourne au cauchemar lorsqu’il voit s’élever dans les airs une jeune femme enveloppée dans ses longs voiles blancs, emportée par un homme/rapace terrifiant. Tout au long du premier acte, il s’isole dans un monde clos que les jeunes courtisans tentent d’approcher sans pouvoir y parvenir, tant le Précepteur campé magistralement par Jack Gastowtt fait continuellement obstruction. Et Siegfried, dansé par Marc Moreau, ébauche dans sa Variation nombre de figures caractéristiques telles que la pirouette, tandis que le Corps de ballet, en tenues rose violacé, se fait valoir dans la célèbre Valse aux formules diversifiées exigeant de chacun une virtuosité aguerrie, ce que l’on dira aussi de la Danse des couples confiée à seize danseurs, impressionnants par leur technique policée et leur parfaite cohésion d’ensemble. Dans le Pas de trois requérant la participation d’Hannah O’Neill et de Roxane Stojanov, le jeune Andrea Sarri éblouit par l’aisance de ses sauts. Alors que l’atmosphère s’obscurcit, Wolfgang tend insidieusement une arbalète au Prince qui, sur l’enchaînement de deux tableaux musicaux, parvient au lac de l’acte II en développant de sinueuses arabesques. Apparaît Odette, le cygne blanc incarné par Héloïse Bourdon, traduisant sa panique par son regard désespéré et ses gestes convulsifs qui finiront par trouver une assise rassérénée dans le Pas de deux, adagio où elle prend le temps de détailler chaque mouvement. Continuellement, Rothbart le sorcier déploie ses ailes gigantesques pour apeurer les compagnes d’infortune de leur reine qui tentent de la protéger sans pouvoir empêcher la séparation d’avec Siegfried.