Antony Hermus, chef d'orchestre ambitieux avec le Belgian National Orchestra

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Le chef d’orchestre Antony Hermus est le chef principal du Belgian National Orchestra, notre phalange symphonique nationale. Dès le début de son mandat, le public a remarqué son engagement et la qualité de sa programmation. Rencontre avec un musicien passionné et passionnant pour faire le point et parler de ses projets pour le BNO. Antony Hermus répond aux questions de Thimothée Grandjean.

Antony Hermus, vous êtes le chef principal du Belgian National Orchestra depuis la saison 2022-2023. Nous sommes presque à la moitié de votre mandat. Quel bilan pouvez-vous en tirer jusqu’à présent ?

Dans les faits, je ne suis pas totalement à la moitié de mon mandat. Ce sera plutôt le cas dans un an puisque la première saison que j’ai réalisée était plus en tant que chef principal désigné qu’en tant que directeur musical. Il faut savoir que dans la profession de chef d’orchestre, les contrats pour les concerts sont généralement négociés des mois voire des années à l’avance. Le Belgian National Orchestra m’ayant demandé tardivement d’en prendre la tête, j’avais de nombreux engagements prévus avec d’autres orchestres. Mon planning ne me permettait pas d’assumer pleinement le rôle de directeur musical comme je l’entendais. Je suis un peu de la vieille école à ce niveau parce que j’estime que le rôle d’un chef principal est d’avancer dans une même direction avec l’orchestre. C’est un travail régulier et continu au cours d’un mandat. En dehors de l’aspect musical du chef d’orchestre, il est également important d’être connecté avec l’organisation et la direction, sinon on est simplement premier chef invité. En dehors des répétitions et des concerts, j’assiste par exemple aux auditions de recrutements pour l’orchestre, aux évènements marketing et je participe au planning pour la prochaine saison. Le chef principal et l’orchestre doivent être connectés pour construire quelque chose de beau d’un point de vue artistique.

Cependant, j’ai accepté de prendre ce rôle en disant que la première saison était une saison désignée. J'ai vraiment pu commencer mon travail en tant que chef principal à partir d’août 2023. Voilà pourquoi je ne suis pas exactement à la moitié de mon mandat.

Votre premier concert avec le BNO a eu lieu en 2019. Comment votre collaboration avec cet orchestre s’est-elle développée depuis votre premier concert ensemble ?

La première rencontre entre un orchestre et un chef est toujours importante et effectivement cette première rencontre a eu lieu en 2019. J'ai immédiatement senti que cet orchestre est un orchestre de passion. Les musiciens veulent jouer et sont motivés pour faire des prestations de qualité. Ils veulent répéter et si par exemple, je décide d’arrêter une répétition un peu plus tôt que prévu et que certains passages ne fonctionnent pas encore parfaitement, eh bien ils sont « mécontents ». En effet, ils préfèrent que les « problèmes » soient résolus avant la fin de la répétition. C’est un orchestre qui joue avec énormément de passion et de cœur. De pareils orchestres, je n’en ai pas vu beaucoup dans ma carrière.

Après ce premier concert en 2019, j'ai dirigé l'orchestre une deuxième fois mais dans la période du Covid. C'était un jump-in parce que le chef initialement prévu a dû annuler sa venue. J’ai dû étudier en trois jours la Symphonie n°3 de Schubert ainsi que la Symphonie n°3 de Sibelius et puis il a fallu les diriger lors du concert. C’est après cela que la direction de l'orchestre a demandé à me parler et que les discussions ont commencé. 

La relation entre l'orchestre et le chef principal est toujours importante. En soi, c’est un peu comme une relation amoureuse. Ça change au fil du temps et plus celui-ci passe, plus les relations deviennent étroites. Quand on est chef invité, notre responsabilité est d’obtenir un bon résultat après une semaine. Quand on est chef principal, notre responsabilité est que l’orchestre joue bien en toutes circonstances, peu importe les solistes ou les chefs devant eux.

Lors de votre première saison en tant que directeur musical vous avez dirigé 8 concerts. Lors de cette saison, vous êtes à la tête du BNO pour 18 concerts. Qu’en sera-t-il pour les deux prochaines saisons ?

À priori, j’aurai plus ou moins 18 concerts sur une saison, comme lors la saison actuelle. Je suis là pour dix semaines dans l’année en comptant aussi les auditions et nous en avons beaucoup en ce moment. D’ailleurs le planning et les pièces que je dirigerai lors des prochaines saisons sont déjà, en grande partie, définis. 

C’est bien quand le chef principal est là mais c'est tout aussi important pour un chef principal de ne pas être là « trop souvent ». En effet, un orchestre a besoin de variété tout en ayant un chef principal qui donne une direction musicale globale. Cette année, le projet du concert du Nouvel An est mon cinquième projet. Une petite tournée est organisée en Belgique parce que j’estime qu’il est important de jouer aussi dans d’autres provinces belges et pas uniquement à Bruxelles.

Le 14 avril 2024, le BNO et l’Orchestre Symphonique de la Monnaie se réunissent sous votre direction pour interpréter la Symphonie n°6 de Mahler. Pouvez-vous nous en dire un peu plus concernant ce projet ?

Il faut savoir que j'aime Mahler, j'aime la Symphonie n°6 de Mahler, j'aime toutes les pièces de Mahler. Je vis une grande histoire avec l’Allemagne puisque j’y ai beaucoup dirigé. J’étais directeur musical de deux maisons d'opéra et par ce fait, j'ai beaucoup d'affinités avec le répertoire allemand et des compositeurs tels que Wagner, Strauss, Bruckner et bien évidemment Mahler. Mahler a dit ceci « Ma musique et mes symphonies en particulier sont comme l'univers, elles contiennent tout ». Il y a un mois, j'ai dirigé la Symphonie n°5 de Mahler et effectivement, on trouve « tout » dans cette œuvre. Le premier mouvement, c'est la mort avec une marche funèbre, le troisième mouvement est un scherzo viennois, l’Adagietto, c'est l'amour pour sa femme Alma tandis que le dernier mouvement évoque la joie de vivre. Gustav Mahler était lui-même chef d’orchestre et il écrit très bien pour l'orchestre. Cependant, c’est une musique exigeante, demandant une énergie considérable aux musiciens mais aussi au chef.

La Symphonie n°6 de Mahler est une des pièces les plus imposantes qu’il ait composée. L’effectif orchestral est colossal et réunira pour l’occasion l’Orchestre Symphonique de la Monnaie et le Belgian National Orchestra pour une nouvelle collaboration entre ces deux phalanges bruxelloises.

Concernant la structure de la symphonie, il y a un débat pour déterminer la place du Scherzo. Doit-il être joué en tant que deuxième ou troisième mouvement ? Personnellement, j’ai décidé de mettre le Scherzo en tant que deuxième mouvement, et l’ Andante en tant que troisième mouvement puisqu’il existe une connexion au niveau des tonalités. L’Andante étant en Mib majeur et le dernier mouvement commencent en Lab majeur, cela fait sens. Et comment le public pourrait-il survivre à ce final très émouvant, alors qu'il vient d'être écrasé par le diabolique scherzo? 

Le second débat concerne les fameux coups de « Hammer » (gros marteau). Dans l’exécution prévue en avril, il y en aura trois. Il faut faire la distinction entre Mahler le compositeur et Mahler le chef d’orchestre. Le compositeur voulait initialement inclure jusqu'à cinq coups de marteau dans la partition. Il les a finalement réduits à trois. Le compositeur a lui-même dirigé la première mondiale de la Sixième à Essen en 1906 et, au cours des répétitions précédant cette première, il n'a finalement pas osé et a supprimé le dernier coup de marteau juste avant la première. Par la suite, Mengelberg a toujours opté pour trois coups de marteau à Amsterdam, comme le montre sa partition conservée à l'Institut néerlandais de musique. 

Plus largement, le projet commun de Bozar, la Monnaie et du Belgian National Orchestra impliquant de jouer l’intégrale des symphonies de Mahler est magnifique. Je pense aussi que c'est quelque chose de spécial.

L’Orchestre Symphonique de Dallas viendra jouer la Symphonie n°5 en juin tandis que le BNO a déjà joué plus tôt dans la saison la Symphonie n°1 et l’Orchestre Symphonique de la Monnaie a interprété la Symphonie n°2. Les autres symphonies du compositeur sont programmées pour l’année prochaine, d’ailleurs la Symphonie n°8 sera interprétée par les deux phalanges bruxelloises qui s’unissent maintenant depuis quelques années pour un concert commun.

Cette année, les finalistes du Concours Reine Elisabeth seront accompagnés par le BNO et vous-même. Cette finale est un réel marathon de six jours avec 12 candidats et donc 12 concertos. Comment abordez-vous cet évènement phare du monde musical ?

Honnêtement, je ne sais pas encore. Cela sera plus clair dans les prochaines semaines. L’œuvre imposée, composée pour l’occasion, est terminée. J’espère l’avoir dès la semaine prochaine. Mais je ne me fais pas trop de souci. L'orchestre a beaucoup d’expérience pour accompagner des solistes. Les musiciens sont très flexibles et connaissent bien le répertoire des concertos pour violon comme ceux de Brahms, Tchaïkovski et bien d’autres.

J’ai déjà été amené par le passé à diriger lors de compétitions. J’ai par exemple dirigé dans le cadre de la Young Pianist Competition. C’est toujours une expérience spéciale. Notre bibliothécaire m’a récemment donné un très bon conseil. Il m’a recommandé d’avoir une partition pour chaque candidat car la version proposée par chacun variera en fonction de sa personnalité, son ressenti... C’est d’ailleurs ce qui rend ce genre d’évènement si spécial et intéressant. 

Ce genre d’évènement demande beaucoup de travail pour l’orchestre. La concentration est primordiale parce que la connexion avec le candidat doit être permanente, surtout que les candidats seront stressés, ce qui est totalement normal puisque leur carrière se joue probablement lors de cette finale. D’ailleurs, il me tient à cœur de soutenir les différents candidats et d’être comme un père pour eux afin de leur donner la confiance nécessaire pour le bon déroulement de leur prestation.

Ce sera un vrai marathon puisqu’en plus des différentes soirées constituant la finale, il faut ajouter les premières lectures avec piano pour voir les intentions des candidats, les répétitions des concertos mais aussi de la pièce imposée et la répétition générale avec tous les candidats. Rigueur et concentration devront être au rendez-vous.

En juillet, un enregistrement est prévu avec le BNO avec au programme des œuvres de Medtner et Rachmaninov. Pouvez-vous nous en dire un peu plus sur ce projet ?

En avril, nous jouerons avec le pianiste Florian Noack le Concerto pour piano n°1 du compositeur russe Nikolaï Medtner. J’ai découvert ce compositeur en écoutant un disque d’Horowitz et j’ai tout de suite adoré cette musique. Quand Florian Noack nous a proposé de jouer ce concerto, nous avons dit qu’il serait important pour l'orchestre de l’enregistrer parce que c’est un compositeur dont la discographie est peu étoffée. Nous avons cherché d’autres pièces pour compléter notre disque et pour le moment, notre choix s’est porté sur deux œuvres de Rachmaninov, bien que cela doive encore être confirmé.

Lors des prochaines saisons, avez-vous pour objectif d’étendre la discographie du BNO ?

Oui, parce que je pense que c'est très important pour un orchestre d’enregistrer.  Réaliser un enregistrement en studio, c'est difficile et considérable pour un orchestre mais extrêmement bénéfique pour la qualité de celui-ci.

Je pense que le BNO a le niveau pour jouer de grandes œuvres avec une interprétation de qualité. De plus, il est aussi important de partager notre passion avec le monde, c’est une vitrine du travail que nous réalisons.

Quels sont vos objectifs, vos envies pour la suite de votre collaboration avec le BNO ?

L'un de nos objectifs avec un orchestre comme le BNO est de partager notre passion pour la musique avec le plus de monde possible. Je pense que la musique est quelque chose de très important dans la vie. Je suis même convaincu que la musique peut nous aider à surmonter certaines difficultés du quotidien. Pas seulement la musique classique, mais la musique en général... 

En fonction de notre humeur, on écoutera des pièces différentes qui symbolisent notre état d’esprit.

L’orchestre transmet des émotions intenses au public. Cependant, nous sommes au 21e siècle et je pense qu’il faut s’adapter à notre époque. Notre travail doit être mis en valeur également par les réseaux sociaux afin de toucher un public beaucoup plus large. Au niveau des abonnements, on remarque aussi que ceux-ci sont un peu moins plébiscités mais cela peut s’expliquer par le fait que les gens veulent être flexibles et veulent faire des choix en derniére minute. Je reste cependant persuadé que de vivre un concert « en live » reste quelque chose de spécial, d’inédit. Pour une soirée, nos problèmes sont mis entre parenthèses et cela peut faire beaucoup de bien. Nous essayons donc de nous adapter à toutes ces nouvelles données.

L’année dernière, nous avons joué avec le BNO dans le cadre du festival Ars Musica. Ce festival met la musique contemporaine à l’honneur. Le programme se composait de quatre œuvres :  Close Encounters of the Third Kind de John Williams, la création mondiale de la Symphonie n°1 de Jean-Luc Fafchamps en première partie et en seconde partie, No Escape (La planète des singes) de Jerry Goldsmith et enfin Also Sprach Zarathustra de Richard Strauss. Le fait d’avoir mis de la musique de film au programme a attiré beaucoup de monde, d’ailleurs la salle était comble. Pourtant la symphonie de Fafchamps a reçu un accueil incroyable de la part du public.

Autre exemple, j’ai fait avec le Noord Nederlands Orkest un concert sur le thème suivant : « Qu’est-ce qu’il y a dans l’iPod de David Bowie? ». Nous avons joué du John Adams (Short Ride in a Fast Machine) ou encore du Philip Glass (The Heroes Symphony) et le public a également répondu présent. D’ailleurs pour l’anecdote, David Bowie était un grand fan des  Vier Letzte Lieder de Richard Strauss. Il est donc possible de jouer de grandes œuvres du répertoire en les associant à de la musique contemporaine et de continuer à remplir notre salle et de pouvoir partager ces moments musicaux avec le plus grand nombre de personnes.

Vous êtes professeur invité du Conservatoire Royal d’Amsterdam et vous collaborez régulièrement avec la Sibelius Academy à Helsinki ou encore le Northern College à Manchester. Est-ce que cela vous tient à cœur de transmettre votre passion et votre expérience à des étudiants en direction d’orchestre ?

Oui, c’est quelque chose qui me tient particulièrement à cœur. Quand j’ai un peu de temps, j’apprécie de pouvoir transmettre mon expérience et donner des conseils à la nouvelle génération de chefs d’orchestre.
En général, je me rends deux fois par an pour deux semaines à la Sibelius Academy et à Amsterdam. Lors de mes déplacements, je suis aussi amené à dispenser des cours sur un weekend au Northern College à Manchester, du moins lorsque j’ai des engagements dans cette région.
En plus de cela, je suis conseiller artistique pour l’Orchestre National des Jeunes des Pays-Bas. C’est un « alibi » qui me permet de diriger un projet lors de chaque saison. Quand j’ai commencé à donner des masterclasses, je me suis demandé ce que j’allais dire aux étudiants. Ce métier est si riche et complexe parce qu’en dehors de l’aspect musical, il y a une composante essentielle qui rentre également en jeu : la psychologie. D’ailleurs, il est très compliqué de l’enseigner et de l’expliquer dans une classe de conservatoire. C’est quelque chose qui se vit en répétition. C’est pourquoi j’invite mes étudiants à venir une semaine ici au BNO par exemple, pour voir comment se passe un projet complet et pas seulement le concert. La manière dont se déroulent les répétitions est très importante. Par exemple, que faire lors des différentes répétitions ? Comment faire progresser l’orchestre ? Ce sont tous des points qu’il est plus facile d’expliquer par la pratique avec un orchestre professionnel. Je suis heureux de pouvoir le faire de temps en temps avec le BNO. Je trouve qu’il est gratifiant de pouvoir accompagner des étudiants et de voir les progrès qu’ils font. Je suis d’ailleurs fier que certains des étudiants que j’ai la chance de coacher reçoivent des engagements avec des orchestres professionnels et gagnent des compétitions renommées comme le Concours International de Besançon ou encore la Fricsay Conducting Competition.

En réalité, je ne me considère pas comme un professeur mais plutôt comme un coach. Je donne des conseils et mon point de vue mais je n’impose rien, c’est aux étudiants de choisir ce qu’ils veulent retenir de mes conseils. Pour conclure, je dirais qu’il est important d’investir dans les prochaines générations de musiciens et c’est avec un plaisir non dissimulé que j’essaye, à mon échelle, d’y participer.

Le site du BNO : www.nationalorchestra.be

Le site d'Antony Hermus : www.antonyhermus.com

Propos recueillis par Thimothée Grandjean

Crédits photographiques : Marco Borggreve

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