BarrocoTout, 100% baroque 

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L’ensemble baroque BarrocoTout vient de faire une entrée fracassante au disque avec un enregistrement d’oeuvres d’Henri Jacques de Croes pour la label Linn (Joker de Crescendo Magazine). Carlota García, fondatrice et flûtiste de l’ensemble (traverso) répond à nos questions 

La première question est simple : quelle est l’origine de ce nom inattendu de BarrocoTout ? 

Le nom BarrocoTout est inspiré du sketch de Muchachada Nui, un groupe de comédiens dont l’humour surréaliste pourrait être comparé aux Monty Python au Royaume-Uni. Ce programme comporte une section intitulée “Le tableau baroque”; il s’agit d’un tableau animé dans lequel les personnages de la toile Los Cambistas (d’Antonio Sánchez del Barrio) s’invectivent mutuellement en disant : “barroco tú” (baroque toi-même) à la fin de chaque conversation. Nous pourrions dire que tout a commencé comme une blague entre nous : ne serait-il pas génial de nous appeler Barroco Tú ? Nous sommes de jeunes musiciens baroques, et bien que la musique que l’on joue soit plutôt sérieuse, nous voulons aussi montrer notre appartenance au 21e siècle ainsi que cet humour décalé qui nous plaît beaucoup. Nous avons francisé le nom en changeant le "tú" en "tout" afin que celui-ci soit plus proche de la prononciation espagnole, mais aussi parce que nous nous sentons très baroques. Tout est baroque pour nous!

Sur votre site Internet, il y a une photo des musiciens qui semblent sortir d’une baignade toute habillée ! Est-ce que cela veut dire qu’un jeune ensemble, doit absolument se jeter à l’eau ? Au sens propre, comme au sens figuré !

La société d'aujourd'hui a une direction plutôt superficielle, où l'art n'a pas d'importance si ce n'est pas rentable, où il n'y a pas de temps pour aller au fond des choses. Nous avons une autre philosophie, nous passons des heures et des heures de répétition à absorber chaque pièce, à nous en imprégner. Cela ne nous empêche pas de nous amuser pour autant comme dans ce clip ! Pour nous, dans l'interprétation de la musique de chambre, il est impératif de se jeter à l'eau et d’assumer notre façon de jouer et de concevoir notre métier, et ce, qu’on soit jeune ou vieux. 

Dans la biographie de l’ensemble, on lit que vous revendiquez un “caractère espagnol et un style français”. Comment cela se traduit-il en musique ? 

En profitant de la richesse et de la diversité culturelle de notre ensemble, nous souhaitons conserver les qualités de chaque pays. Le caractère espagnol est synonyme de bravoure, de courage, de force, de détermination, en bref, aller au bout des choses sans hésitation. Mais dans l’interprétation musicale, nous avons aussi besoin de l’attention aux détails et de l’élégance propre au style français.

Votre album pour le label Linn est consacré à Henri Jacques de Croes que l’on pourrait qualifier de “belge”, même si le pays n’existait pas encore. Qu’est-ce qui vous a motivés à vous orienter vers ce musicien ? 

Il est clair qu’en Europe, il existe un certain nombre de compositeurs baroques connus et entendus, mais ils ne sont pas les seuls ! Nous pensons que le public de nos jours est très curieux de découvrir qui étaient les compositeurs actifs à cette époque, en particulier dans leur région, même si l’histoire ne les a pas (encore) retenus. Bien que les membres de BarrocoTout aient des origines franco-espagnoles, notre groupe est né à Bruxelles et nous pouvons donc dire que nous sommes bruxellois d’adoption, de même que de Croes, qui est né à Anvers mais a passé la plupart de sa vie à Bruxelles. Dès le moment où nous avons commencé à lire son opus 5, nous avons réalisé que de Croes méritait d’être joué et reconnu comme l’un des compositeurs les plus représentatifs de la musique baroque aux Pays-Bas.

Quel sera votre prochain enregistrement ? 

Pour le moment, nous poursuivrons notre voyage avec un autre compositeur “belge”: Pierre van Maldere. Nous avons choisi ce compositeur d'origine bruxelloise car, en plus d'être considéré comme le Mozart belge, il a été formé au violon et à la composition par de Croes. Nous avons déjà enregistré le maître et nous souhaitons maintenant explorer la musique du disciple.

Vous incarnez l’Europe musicale, d’ailleurs vous êtes reconnus comme un ensemble émergeant par l’Union européenne. Est-ce que vous êtes inquiète devant le repli nationaliste qui se manifeste à travers le continent ? 

Quand on pense à l'époque baroque, on a l'impression que les artistes ne connaissaient pas les frontières linguistiques ou terrestres : des musiciens italiens travaillaient pour un Prince allemand, un compositeur allemand est plus tard devenu anglais et il connut un grand succès à Londres, et des musiciens français invitaient des compositeurs italiens à la Cour... Nous craignons évidemment que la coopération internationale et la libre circulation des musiciens ne deviennent plus difficiles dans un avenir proche, dans une profession où le mouvement est inévitable et enrichissant.

La scène musicale belge est relativement étroite comparée à la France et l’Allemagne voisines ; de plus, le pays est divisé linguistiquement et les budgets culturels sont divisés aussi. Est-ce que cela constitue un défi particulier ?

Depuis que nous avons créé le groupe, nous avons eu le plaisir de jouer dans des salles de concert et pour des festivals en Flandre et en Wallonie ainsi que dans la région de Bruxelles. Pour le moment, nous n'avons pas rencontré d'obstacles pour atteindre le public belge, quelle que soit son origine, et nous pouvons dire que nous ressentons la gratitude de ce même public lorsque nous leur présentons des compositeurs et compatriotes qu'ils ne connaissent pas.

Nous avons déjà bénéficié de l'aide de la Fédération Wallonie-Bruxelles pour la promotion de l’ensemble et de notre premier album "La Sonate Égarée: Henri-Jacques de Croes", ainsi que la reconnaissance du gouvernement belge en recevant l'Octave de la Ministre de la Culture".

Peut-être notre défi a-t-il un lien avec la division linguistique ; elle nous pose parfois problème car nous parlons plus facilement français que flamand (remplir un dossier de subvention en flamand serait par exemple au-dessus de nos compétences). Nous avons cependant des contacts réguliers avec des organisateurs ainsi qu’avec notre public en Flandre ! À ce propos, nous avons pris connaissance de la décision du gouvernement flamand de réduire le budget de la culture. Nous espérons qu’ils reviendront sur cette décision car investir dans la culture de son pays nous paraît quelque chose de primordial.

Le site de l’ensemble BarrocouTout : https://www.barrocotout.com/

A écouter :

Henri-Jacques de Croes (1705-1786) : La Sonate Égarée. Six Sonates en trio, Op. 5. BarrocoTout : Carlota Garcia (flûte traversière), Izana Soria (violon), Edouard Catalan (violoncelle), Ganaël Schneider (clavecin).2019-DDD-62’19-Textes de présentation en anglais et français-Linn CKD

Crédits photographiques : Mathilde Troussard

Propos recueillis par Pierre-Jean Tribot 

 

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