Les Musiciens et la Grande Guerre avec Philippe Saulnier d’Anchald

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La collection “Les Musiciens et la Grande Guerre” des éditions Hortus fut l’un des développements majeurs de ces 5 dernières années. Alors que le volume n°36 met en miroir Lucien Durosoir et Philippe Hersant tout en clôturant cette aventure, Crescendo Magazine fait le point avec Philippe Saulnier d’Anchald, directeur de la collection. 

Les Musiciens et la grande guerre, c’est un parcours au long cours ! 5 ans et 36 parutions. Alors que le dernier et 36e volume…….. Quels regards portez-vous sur cette collection ? 

Un regard de satisfaction, bien entendu, sur ces réalisations. Au-delà d’un intérêt musical ou historique, la collection Les Musiciens et la Grande Guerre avait pour ambition de constituer une base patrimoniale cohérente offrant un panorama de la création musicale des nations impliquées dans le conflit. Je pense que nous ne sommes pas loin d’y être parvenus. Il reste notamment des quatuors à cordes, des sonates pour violoncelle ou des pièces pour piano seul que j’aurais aimé voir enregistrées. Si nous parvenons à réunir les financements nécessaires, peut-être que nous le ferons un jour….Nous aurons alors, de manière plus complète encore, la satisfaction de laisser aux musiciens, aux chercheurs comme aux mélomanes curieux un corpus d’œuvres à découvrir ou à redécouvrir qui constituent une étape essentielle dans l’histoire de la musique au XXe siècle.

Quelles sont les raisons qui vous ont poussé à réunir toutes ces œuvres dans le cadre du Centenaire de la Première Guerre mondiale ? 

L’idée de départ revient à Didier Maes qui, dès 2012, a eu l’intuition qu’il serait intéressant et utile de proposer une anthologie d’œuvres écrites pendant la Grande Guerre. Alors que l’on commençait à évoquer le Centenaire, il apparaissait que l’on parlait essentiellement de littérature, de photo mais, curieusement, la musique était oubliée…Didier m’a alors proposé de regarder ce que nous pourrions proposer pour pallier cette lacune. Rapidement, je suis revenu vers lui pour lui indiquer que nous ne pourrions pas proposer un tableau cohérent avec moins d’une vingtaine d’heures d’enregistrements…. Il a courageusement accepté de se lancer dans l’aventure et nous sommes aujourd’hui bien au-delà en nombre d’enregistrements et je tiens à le remercier pour sa persévérance et sa confiance.

Comment avez-vous choisi les compositeurs et les répertoires présentés par les volumes de la collection ? 

N’étant ni musicien ni musicologue, je suis parti d’une page blanche. Quelques lectures d’ouvrages dont celui de Dominique Huybrechts  «1914-1918» Musiciens des tranchées ont commencé à me fournir des pistes, de longues heures passées à la Bibliothèque Nationale comme des recherches sur Internet ont rapidement enrichi ma liste d’œuvres.

Dans un deuxième temps, il a fallu trouver les partitions puis composer des programmes cohérents. Nous avons décidé, pour des raisons pratiques, de favoriser enfin une approche par instrumentarium. Très souvent le choix final a été effectué en accord avec les artistes retenus en fonction de leur propre ressenti.

Le dernier volume vient de sortir, il met en miroir Lucien Durosoir, un compositeur qui a lui-même combattu, avec une pièce contemporaine de Philippe Hersant. Pourquoi un tel choix ? Pourquoi terminer la collection avec un regard de notre temps ? 

Durosoir n’a cessé de penser aux millions de morts de la Grande Guerre, Philippe Hersant évoque à son tour le massacre généralisé. Cette invitation à se souvenir est aussi un devoir de vigilance et une alerte pour l’avenir.

Il nous semblait aussi important de conclure la collection en faisant appel à un orchestre symphonique. Grâce à la commande passée à Philippe Hersant nous avons eu la chance de faire entendre l'Orchestre Philharmonique de Radio France et Luc Durosoir, le fils du compositeur, avait mobilisé toute son énergie et ses soutiens pour l’enregistrement de Funérailles à Saint Pétersbourg par le Taurida. Le couplage des deux œuvres était aussi d’autant plus évident que Philippe Hersant rend hommage à Durosoir et à Maréchal en sollicitant le violon et le violoncelle pour son concerto. 

Sinon, et à dire vrai, ce n’est pas la première œuvre contemporaine qui apparaît dans la Collection. Il y eut tout un volume (L’homme qui titubait dans la Guerre -Vol 28) qui regroupait des œuvres de notre temps avec le bel oratorio d’Isabelle Aboulker et des pièces de Françoise Choveaux et Vincent Bouchot spécialement écrites pour la circonstance.

Le nombre d’œuvres enregistrées est important, mais celui des interprètes mobilisés pour ce projet est également considérable ! Comment avez-vous identifiez et convaincu tous ces musiciens ?

Quand j’ai commencé à identifier les œuvres susceptibles d’être enregistrées, j’ai fait un tableau qui a rapidement dépassé les 400 entrées….Il était bien entendu totalement exclu de pouvoir enregistrer tout cela ! Si les financements avaient pu être réunis, nous aurions pu envisager de poursuivre la Collection. 

Didier Maes (Hortus) connaissait un certain nombre d’interprètes de grand talent qui se sont investis avec enthousiasme dans le projet comme Anne Le Bozec, Alain Meunier, Françoise Masset, Nicolas Stavy, Vincent Genvrin ou Philippe Brandeis. Partant de zéro ou presque, je n’avais pas vraiment, de mon côté, beaucoup de noms d’interprètes à proposer. C’est essentiellement au fil du temps et au hasard des rencontres que s’est construite la Collection. Et je pense que nous avons eu la main heureuse en proposant des programmes sortant des sentiers battus à Guillaume Sutre, Vincent Roth ou l’organiste Thomas Monnet qui n’ont pas hésité une seule seconde à monter ces programmes. Les relations amicales que nous avons alors nouées nous ont permis d’approcher ensuite le jeune et brillant Quatuor Calidore, le violoniste Ambroise Aubrun ou l’organiste Sylvain Heili. J’ai aussi eu la chance de rencontrer lors d’un concert à Lille l’altiste Paul Mayes qui avait initié un travail fantastique autour des quatuors de la Grande Guerre. Et c’est grâce à lui que nous avons pu ensuite enregistrer deux disques avec le pianiste Amaury Breyne et faire la connaissance du musicologue et violoniste australien Chris Latham qui avait initié des recherches approfondies sur les compositeurs britanniques et français impliqués dans la Grande Guerre.

Mais le plus compliqué a été de solliciter des formations constituées, évidemment pour des raisons financières. Nous avons eu la chance de convaincre l’Orchestre National de Lille pour graver deux concertos pour la main gauche avec le pianiste Nicolas Stavy, l’Orchestre Symphonique de l’Opéra de Toulon dirigé par le jeune chef Pierre Dumoussaud pour Elégies ou le Chœur Fiat Cantus de Thomas Tacquet pour l’Ode à la France

Une telle collection représente un budget conséquent. Comment avez-vous trouvé des sources de financement ? 

Tristement, cette guerre a été la première à être considérée comme mondiale, à avoir connu autant de massacres (militaires et civils avec les premiers génocides de populations) et laissé autant de séquelles. Ainsi, nombreuses sont les nations engagées à avoir pris part à la commémoration du conflit et ce, tout au fil de sa durée, selon les temps forts et les événements qu’elles souhaitaient elles-mêmes célébrer. C’est assez unique dans l’histoire des commémorations d’avoir autant de parties prenantes pour faire mémoire, en particulier en redécouvrant ou en recréant des œuvres. Avec la collection, nous avons eu la chance de fédérer plusieurs institutions à l’étranger (radios, conservatoires et école de musique, musées, agences spécialement créées pour le Centenaire). Dans le cadre d’un devoir de mémoire et dans l’idée que la musique est un langage universel, qui peut favoriser la paix et la réconciliation, il a été assez aisé de convaincre tous nos partenaires de s’associer à l’aventure. Sans omettre de citer et de remercier ici au passage, pour notre pays, le Ministère des Armées (Direction du Patrimoine, de la Mémoire et des Archives), la Mission du Centenaire ainsi que les soutiens réguliers d’Hortus, les sociétés civiles (Adami, Scpp) et la Région Auvergne-Rhône-Alpes…

Comment la collection a-t-elle été reçue en dehors en France ? 

En streaming dans tous les pays (avec une forte présence en Amérique du Nord grâce à Naxos). Très régulièrement suivie en Angleterre, Benelux par les médias. Plus ponctuellement en Allemagne, Pologne, Italie et aux États-Unis.

Je présume que, dans toutes ces œuvres, vous avez l’un ou l’autre coup de cœur ?

 À titre personnel, je retiens évidemment les enregistrements les plus récents comme Élégies (vol. 34) ou Sacrifice (vol.25) pour l’engagement profond des interprètes et l’émotion qu’ils dégagent. J’ai également été très sensible aux enregistrements de sonates par le violoniste Guillaume Sutre ou l’altiste Vincent Roth (vol 12 et 7) pour le côté intime et profondément humain qu’ils dégagent. Je reviens aussi très souvent au bel enregistrement d’Anne de Fornel sur un piano d’époque (vol 17). Bref, il est impossible de choisir, comme avec des enfants, un préféré parmi une succession d’enregistrements que vous avez portés sur une longue durée.

À écouter : 

“Sous la pluie de feu - Funérailles”. Oeuvres de Philippe Hersant et Lucien Durosoir.  Taurida International Symphony Orchestra ; Orchestre philharmonique de Radio France ; Hélène Collerette, violon ; Nadine Pierre, violoncelle ; Mikhail Golikov et Pascal Rophé, direction. 1 CD Hortus 736

 

Le site des éditions Hortus : www.editionshortus.com

Crédits phorographiques : DR

Propos recueillis par Pierre-Jean Tribot

 

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