Benjamin Grosvenor met Chopin sur le Pavois

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Frédéric CHOPIN : Concertos pour piano et orchestre n° 1 op. 11 et n°2 op. 21. Benjamin Grosvenor, piano ; Royal Scottish National Orchestra, direction Elim Chan. 2020. Livret en anglais, français et allemand. 70.24. Decca 485 0365.

Il en a de la chance, Frédéric Chopin ! Un mois à peine après avoir loué dans les colonnes de Crescendo une version miraculeuse des deux concertos pour piano et orchestre par Yundi, qui dirigeait de son clavier l’Orchestre Philharmonique de Varsovie pour le label Warner, voici qu’un autre jeune virtuose, Benjamin Grosvenor, en propose à son tour sa conception, pour Decca, avec la complicité de la cheffe Elim Chan à la tête du Royal Scottish National Orchestra. Comme le précise la notice, « on pourrait résumer la rapide ascension de Benjamin Grosvenor vers les sommets à une litanie de superlatifs. » Né dans le Comté d’Essex, à Southend-on-Sea en 1992, ce jeune Anglais, fils d’un professeur d’anglais et de théâtre et d’une mère pianiste professionnelle, reçoit ses premières leçons de cette dernière. En 2012, il sort de la Royal Academy of Music de Londres avec son diplôme, et donne son premier récital officiel l’année suivante. Mais dès 2004, il a été mis en avant en étant le plus jeune lauréat du concours BBC Young Musician of the Year dans la catégorie « piano ». Il est aussi le plus jeune soliste à se produire dans le cadre des « Proms » en 2011, année où paraît son premier CD consacré à Chopin, Liszt et Ravel, salué par la critique comme le sera, en 2014, un programme Bach, Chopin, Scriabine, Granados et Liszt. 

Chopin est l’un des créateurs de prédilection de Grosvenor. Dans la notice, il déclare : « Chopin est le premier compositeur avec lequel je me suis vraiment senti très proche. J’avais huit ou neuf ans. Sa musique m’est toujours venue naturellement. » Avec sagesse, Grosvenor ne s’est pas précipité pour enregistrer les deux concertos, même s’ils sont à son répertoire depuis longtemps. A 27 ans, il s’est estimé mûr pour faire le pas, « encouragé en cela notamment par le rapport privilégié qu’il a avec la cheffe d’orchestre Elim Chan ». Le décor est planté : celui de la complicité entre deux jeunes artistes pour interpréter des partitions d’un jeune génie. Elim Chan, originaire de Honk-Kong, née en 1986, s’est consacrée au violoncelle, au piano et a tâté du chant choral avant de tenter l’aventure de la médecine aux Etats-Unis, carrière abandonnée pour se consacrer à la musique. En 2014, suite à sa victoire au Concours de direction Donatella Flick du Symphonique de Londres, elle est devenue cheffe adjointe du London Symphony pendant un an. Depuis la saison 2019-20, elle est à la tête de l’Orchestre Symphonique d’Anvers où elle a accompagné en décembre dernier Frank Peter Zimmermann dans le Concerto pour violon de Beethoven. Mais elle avait été invitée dès 2014 au Royal Scottish National Orchestra, et l’invitation s’est renouvelée. C’est avec cette phalange qu’elle est la partenaire de Grosvenor pour le présent CD Decca.

Disons-le d’emblée : Grosvenor nous fascine tout au long de ces deux partitions, dont il souligne la poésie et le naturel dans une évidence de ton et d’intensité. Au fil des mouvements, on a droit à des accents qui explosent comme des fusées frémissantes, à des gerbes ou des giclées fougueuses comme à des éclaboussures de notes, dans un contexte de lyrisme flamboyant comme de virtuose éloquence. La comparaison avec Yundi étant inévitable en raison du court intervalle entre les deux parutions, on ne trouvera pas ici la même atmosphère chambriste, mais un climat romantique bienvenu au sein duquel l’orchestre brille de mille feux, offrant au soliste un arrière-fond noble et rythmé. Sur celui-ci, Grosvenor peut laisser son dialogue avec Chopin se dérouler, à la fois mélancolique, rêveur et énergique. Dans l’Opus 11, le pianiste donne au Larghetto un décor souplement onirique qui révèle la sensibilité et le charme d’un toucher juste et profond. Les deux autres mouvements s’inscrivent dans la ligne de la conquête mesurée et sincère, sans surcharge ni maniérisme. Dans l’Opus 21, Grosvenor accentue le côté envoûtant de la partition, se lance dans des traits qui paraissent improvisés, avec élan, sens de la dynamique et couleurs bien tracées. Si l’émotion semble parfois bridée, si l’intimité du Larghetto apparaît moins lumineuse que chez Yundi, ces deux indispensables niveaux de confidences se font cependant l’écho d’une voix qui instaure un chant de notes perlées et qui place le style, sans défaut, et la sonorité, décantée, au sommet du geste pianistique. A ce stade, les détails sont négligeables car Grosvenor détient une qualité fondamentale, qui parcourt toute sa traduction des textes : la ligne, dessinée avec grandeur. Cette ligne s’accompagne d’une volonté manifeste de laisser l’œuvre parler d’elle-même, et cela, c’est à saluer comme un gage d’humilité. A la tête du Scottish National, Elim Chan confirme son talent de soutien attentif, même si certains accents sonnent parfois un peu trop à l’état brut. A cet égard, Yundi avait accompli un miracle de bonheur absolu, auquel nous accordons une minime préférence. Le présent enregistrement, effectué à Glasgow les 4 et 5 août 2019, vient néanmoins placer Grosvenor/Chan parmi les meilleures versions modernes des concertos de Chopin. 

Son : 9   Livret : 9  Répertoire : 10  Interprétation : 9

Jean Lacroix

 

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