Les Sonates du Rosaire de Biber transcendées par Gunar Letzbor

par

Heinrich Ignaz Franz BIBER (1644-1704) : Rosenkrantzsonaten (Sonates du Rosaire). Ars Antiqua Austria, violon baroque et direction Gunar Letzbor. 2020. Livret en allemand et en anglais. 143 minutes. Pan Classics PC 10409 (2 CD).

Le nom de Biber mériterait d’être connu de nos compatriotes, en tout cas des habitants de notre capitale puisque la partition de sa Missa bruxellensis à 23 voix, considérée comme l’un des sommets de la polyphonie baroque, a été découverte et est conservée à la Bibliothèque Royale de Belgique. Cette œuvre magnifique est peut-être éclipsée par la Missa salisburgensis, destinée de son côté à 53 voix vocales et instrumentales. Le compositeur, auteur par ailleurs de deux Requiem et de musique sacrée, est né en Bohême, à Wartemberg (aujourd’hui Straz pod Ralskem en Tchéquie), et a suivi une formation auprès de Johann Heinrich Schmelzer (1623-1680) qui fut maître de chapelle de Léopold Ier à Vienne avant de s’établir à Prague où il mourut. Violoniste virtuose, il influença son élève Biber qui allait lui aussi devenir maître de chapelle du Prince-Evêque de Salzbourg en 1684 et être anobli par Léopold Ier. A sa mort, dans la cité du futur Mozart, son fils Carl Heinrich lui succéda. On considère qu’Heinrich Ignaz Franz Biber est l’un des premiers fondateurs de l’école austro-allemande du violon ; c’est à lui que l’on doit des changements dans l’accord des cordes, la « scordatura » qui permet, notamment par la tension des cordes, de produire des sons et des effets particuliers. A cet égard, les Sonates du rosaire, qui font l’objet du présent enregistrement, en sont une illustration parfaite.

L’importance de cette partition sur la suite de la musique baroque est considérable. On lira avec intérêt dans la notice (qui n’a pas été traduite en français, hélas) les pages écrites par Gunar Letzbor, le violon conducteur ; elles concernent le son, les instruments et la nomenclature générale de cette partition répartie en quinze sonates conclues par une passacaille, dont le manuscrit est conservé à la Bibliothèque du Land de Bavière à Munich. Composée sans doute vers 1678, elle est divisée en trois sections de « mystères » avec deux personnages centraux, Marie et Jésus : les mystères joyeux (de l’Annonciation à la présence de l’enfant Jésus au Temple), les mystères douloureux (du Jardin des Oliviers à la Crucifixion) et les mystères glorieux (de la Résurrection au Couronnement de la Vierge Marie), chaque partie comportant cinq sonates, une passacaille, nous l’avons dit, clôturant l’ensemble des quinze. Ce n’est à proprement parler une série de pièces à programme, mais plutôt des évocations sacrées, avec des mélanges de styles dans la construction : prélude, thème et variations, danse, chaconne, sarabande… L’atmosphère globale est de caractère intime, mystique, avec un art de l’élégance, de l’expression et de la finesse qui est porté au plus haut degré. Un art qui ne dédaigne pas la brillance, la vie des rythmes et la majesté du violon solo. L’audition des Sonates du rosaire relève d’un plaisir qu’on ose nommer sensuel malgré son climat religieux, car on se laisse porter par une musique d’une inventivité sans cesse renouvelée et d’un charme envoûtant.

Fondé à Linz en 1995, l’ensemble Ars Austria dirigé par Gunar Letzbor s’est spécialisé dans le répertoire baroque sur instruments d’époque. Dès 1996, il enregistrait les Sonates du rosaire pour le label Arcana. D’autres gravures de la partition de Biber sont au catalogue : Reinard Goebel avec le Musica Antiqua Köln, Eduard Melkus avec Huguette Dreyfus au clavecin (tous deux chez Archiv), ou encore Franzjosef Maier avec Konrad Junghänel au théorbe (Harmonia Lundi) ou, plus récemment, Rachel Podger (Channel Classics). Celle que Letzbor propose aujourd’hui est sans doute l’une des plus séduisantes, par la qualité de la sensibilité, l’engagement en relance permanente, la beauté du jeu violonistique, enthousiasmante, la diversité des climats et la souplesse d’archet confondante qui illumine chaque page, même la plus intense sur le plan de l’émotion, d’une lumière infinie. Letzbor magnifie la couleur, la porte souvent à l’incandescence, tout en conservant cet équilibre nécessaire qui permet à ses partenaires de s’épanouir, comme des fleurs qui s’ouvrent. Erich Traxler à l’orgue, tenu avec hauteur de vues, Jan Krigovsky au violone et Hubert Hoffmann au théorbe font merveille. On est au-delà de la complicité, on est dans le partage absolu. Pour trois sonates (IV, X et XIV), on bénéficie de l’impeccable apport du Salzburg Lute Continuo (Hubert Hoffmann, Lee Santana et Daniel Oman). Cet album magistral de deux CD, qui sert avec une infinie grandeur une des plus belles partitions de l’époque baroque, a été enregistré du 14 au 19 mai 2019 au monastère de Saint-Florian. C’est un événement discographique à ne pas manquer !

Son : 10   Livret : 10  Répertoire : 10   Interprétation : 10

Jean Lacroix 

 

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