Bohuslav Martinů, entre Paris et New-York

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Bohuslav Martinů (1890-1959) : Concerto pour violon, piano et orchestre H. 342 ; Sonate pour violon et piano n° 3 H. 303 ; Cinq Petites Pièces pour violon et piano H. 184. Josef Špaček, violon ; Miroslav Sekera, piano ; Orchestre symphonique de la Radio de Prague, direction Petr Popelka. 2020/22. Notice en anglais, en allemand, en français et en tchèque. 63.15. Supraphon SU 4330-2.

Le label Supraphon propose un programme Martinů, partagé entre la France et les Etats-Unis. Le compositeur, après avoir obtenu une bourse, se rend dès 1923 à Paris où il étudie auprès d’Albert Roussel. Il y vit jusqu’en 1940, tout en retournant régulièrement dans sa Bohême natale, avant d’émigrer aux USA pour fuir la guerre et de s’y s’installer jusqu’en 1953. C’est là qu’il compose un concerto à la demande des époux Rabinof, Sylvia (1913-2001) et Benno (1910-1975). Ce dernier, Américain d’origine russe, est un grand virtuose qui a été l’un des derniers élèves de Leopold Auer. Le compositeur est alors très apprécié aux USA ; il y a déjà écrit un concerto pour le violoniste Mischa Elman. La série de ses six symphonies (sauf la Cinquième) est créée par des phalanges prestigieuses (Boston, Cleveland, Philadelphie) pendant cette période américaine. 

Début mai 1953, Martinů, qui a la nostalgie de la France, mais aussi de l’Italie, quitte les Etats-Unis, où il ne reviendra qu’une seule fois. On le retrouve à Nice, à Rome puis en Suisse, où il mourra. Le Concerto pour violon, piano et orchestre est créé un an après, le 13 mai 1954, à New York, en l’absence du créateur, alors sur la Côte d’Azur. C’est une œuvre de la maturité épanouie, au lyrisme exubérant et à l’impulsivité dynamique. D’essence néo-classique, elle comporte trois mouvements, dont le premier, Poco allegro, rappelle, selon son biographe Guy Erismann (Actes Sud, 1990), la Bohême entière, des champs et des forêts, des lacs et des rivières, celle du violon tchèque pur, chantant, presque spontané, souriant de mélodies inimitables qui planent sur le grand horizon. On y ajoutera une chaleur communicative et une complicité de l’archet avec un piano attentif à le mettre en valeur. Un Adagio grave et sensuel rappelle un thème de la Symphonie n° 4. Le lyrisme est ici à un niveau élevé, entre un violon virtuose aux accents méditatifs et un piano qui se tient sur la réserve. L’Allegro conclusif oscille entre drame et tension, entre flots de joie populaire et dynamisme orchestral qui mènent tout droit à un superbe apogée. On connaissait de cette partition trop peu enregistrée la belle version Matoušek/Kosarek, avec la Philharmonie tchèque dirigée par Christopher Hogwood (Hyperion, 2008). Ici, Josef Špaček (°1986), qui a été finaliste du Concours Reine Elisabeth 2012, et son partenaire Miroslav Sekera (°1975) offrent beaucoup de finesse d’esprit au dialogue concertant, soutenu par Petr Popelka (°1986) qui, à la tête de la phalange de la Radio de Prague, met bien en évidence cet échange inspiré, entre tension et détente.

Petit retour en arrière, toujours new-yorkais, avec la Sonate n° 3 pour violon et piano, qui date de 1944, année de la Symphonie n° 3. En quatre mouvements, cette partition bien équilibrée quant à sa forme, relève d’un néo-classicisme transcendé. Le lyrisme y est permanent : le jaillissement est perpétuel dans le Poco allegro, l’Adagio s’écoule avec une tranquillité néo-baroque, comme le dit si bien la notice du musicologue Jaroslav Mihule, le Scherzo vit d’une intense alacrité populaire, avant un final qui ne cesse de s’épanouir avec noblesse. Une sonate des plus remarquables, qui a vu quelques grands noms s’y attacher (David Oïstrakh avec Frida Bauer, réédition en coffret Brilliant en 2012, ou le duo Josef Suk/Josef Hala pour Supraphon en 1989). Les deux interprètes du jour se situent dans la ligne convaincante, claire et pleine de vitalité de Bohuslav Matoušek et Petr Adamec (Supraphon 1999, réédition 2008 dans un coffret de 4 CD).

Le complément des Cinq Pièces brèves pour violon et piano (titre original en français) nous ramène dans la capitale de l’Hexagone à la mi-avril 1930. Elles sont à la fois subtiles et d’un lyrisme plein de saillies. Les deux solistes soulignent bien leur élégance quelque peu parisienne pour clôturer un album qui vaut le détour.

Son : 9    Notice : 10    Répertoire : 10    Interprétation : 9

Jean Lacroix 

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