Boris Godounov au Théâtre des Champs-Élysée Une force qui va

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Créée à Toulouse il y a quelques mois, la mise en scène d’Olivier Py avec les décors de Pierre-André Weitz et les lumières de Bertrand Killy paraît sur la scène du Théâtre des Champs-Élysées, celle-là même où Serge Diaghilev allait stupéfier le public de la capitale avec ses « Ballets Russes » au début du XXe siècle.

Après le retrait de Mathias Goerne, la lourde chape du Tsar revient à Alexander Roslavets, basse biélorusse né dans l’ancienne Brest-Litovsk, déjà présent sur les scènes internationales depuis une bonne dizaine d’années. Il allie à la carrure du personnage, un chant large et sobre sans que le charisme singulier de cette grande figure historique ne s’exprime pleinement.

Le schématisme de la mise ne scène cohérente, lisible, prévisible n’offre en effet guère d’espace au déploiement émotif. Transposée entre deux eaux -histoire et modernité parcellisée entre les différentes versions- celle de 1869 annoncée mais avec des ajouts (danseuse classique, personnages féminins, évêque parodique) et des coupures, elle érode la profusion, les contradictions, les paradoxes au profit d’un discours monolithique rendu plus dense encore par l’absence d’entracte.

Les blocs qui pivotent ou s’avancent suggèrent l’univers stalinien. Kalachnikovs alternent avec recoins obscurs, complets vestons et chapes d’ors -tableau le plus réussi- ne facilitant pas toujours l’identification des protagonistes. En revanche, l’association de Poutine avec Staline nous est assénée sans finesse. Rapprochement aussi facile que discutable puisque que la figure historiquement et humainement complexe de Boris, dévoré par la culpabilité, n’a rien à voir avec Staline, ni la Russie des années 1600 avec l’Empire Soviétique.

En revanche, la servilité du peuple, la brutalité, le vieux fonds terrien et mystique nourri d’ apparitions, de songes, de miracles restent présents à travers quelques jeux scéniques explicites (les allées et venues du petit tsarévitch défunt) mais surtout grâce à une texture sonore âpre et profuse si caractéristique de Moussorgski, architecturée par des chœurs extrêmement variés ; ici, ceux de l’Opéra National du Capitole et de la Maîtrise des Hauts-de-Seine se révélant plus sonores que suggestifs.

A la tête de l’Orchestre National de France, le chef letton, Andris Poga conduit d’une main ferme la progression dramatique, mettant en valeur les récits intimistes de Pimène comme les ponctuations si expressives des bois, carillons et cuivres.

Roberto Scanduzzi offre à Pimène son beau legato et des accents de fin du monde tandis que le ténor canarien, Airam Hernandez, impose un usurpateur aussi valeureux qu’insolent.

Très engagés également, Yuri Kissin (Varlaam), Fabien Hyon (Missaïl) et à un moindre degré, l’aubergiste (Sarah Laulan) ainsi que les rôles féminins, Victoire Bunel (Fiodor), Lila Dufy (Xenia) et Svetlana Lifar (La nourrice) sont néanmoins desservis par leurs costumes, maquillages et jeux de scène.

La poignante scène de « l’Innocent » (Kristofer Lundin), compromise par un costume outrancier, des passages muets inutiles et une vocalité rocailleuse, perd malheureusement beaucoup de son impact.

Enfin, les gardes, volontiers torse-nu, menés par l’impérieux géorgien, Sulkhan Jaiani, savent s’effacer devant l’excellent boïar, Andreï Chtchelkalov (Mikhail Timoshenko) tandis que Marius Branciu prête au sinueux Prince Chouïski la perversité de la douceur.

Même érodée par une vision certes lisible mais assez réductrice, la partition conserve toute sa puissance. Elle permet de comprendre pourquoi la musique occidentale en fut bouleversée lorsqu’en 1875, Saint-Saëns la rapporta de Moscou dans ses bagages. Offerte à l’organiste Jules de Brayer, elle arriva entre les mains de Debussy qui la déchiffra en 1893 chez ses amis Chausson. Si bien qu’à l’occasion de la représentation légendaire de 1908 avec Chaliapine, il s’exclamait : « Allez voir Boris, tout Pelléas s’y trouve ».

Cent ans plus tard, la salle est comble et de multiples rappels saluent la force d’un chef d’œuvre que n’égale peut-être que la Khovantchina du même compositeur.

Bénédicte Palaux Simonnet

Paris, TCE, le 1er mars 2024

Crédits photographiques : © Mirco Magliocca

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