A Genève, trois premières exécutions fascinantes

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Pour un événement particulier comme cette Soirée des premières, l’Orchestre de la Suisse Romande collabore avec l’Orchestre de la Haute Ecole de Musique de Genève en infiltrant quelques-uns de ses chefs de pupitre dans les rangs de la formation estudiantine. Peter Eötvös aurait dû diriger lui-même le programme du 2 mars qui comportait deux de ses œuvres. Mais pour des raisons de santé il a dû annuler sa participation. Et c’est Jonathan Nott qui a accepté d’étudier trois œuvres qui lui étaient inconnues pour le remplacer à la tête d’une phalange impressionnante par sa dimension.

La première des œuvres de Peter Eötvös s’intitule Reading Malevich, créée en 2018 par Matthias Pintscher et l’Académie du Festival de Lucerne mais que Genève entendait pour la première fois. Inspirée par la toile Suprematismus n.56 de Kazimir Malevich, cette page suscita quelques réflexions de la part du compositeur qui déclarait : « Je me suis mis comme défi la transformation d’une image en musique… Ma partition s’articule en deux volets, Horizontal et Vertical, référence à la ligne de mire du spectateur et à la façon dont il lit le tableau ». Et c’est par le biais de formules à l’unisson que se profile un ostinato mélodique dont les lignes se resserrent sous l’impulsion des vents pour laisser affleurer les tensions. L’abondante percussion produit de mystérieuses suspensions avant l’avènement des cuivres imposant un choral que récupérera le tutti. La seconde partie est un éblouissant kaléidoscope dont la myriade de coloris est fluidifiée par de soyeux glissandi. 

Intervient ensuite Xavier de Maistre assumant la première suisse du Concerto pour harpe et orchestre que Peter Eötvös avait composé à son intention en 2003 en réponse à une co-commande de Radio France, du Rundfunkorchester de Berlin, du Musikverein de Vienne, de la NHK de Tokyo, de la Casa da Musica de Porto et de l’OSR. En trois mouvements bien distincts, l’œuvre s’articule en confiant d’abord au soliste une cadenza virtuose amenant la ligne mélodique que développent les bois. Frappant par instants sur le bois, le harpiste se confine à ornementer le discours orchestral largement développé avant d’ébaucher une seconde cadenza qui débouche sur un lento intériorisé s’appuyant sur les tenues des cuivres et sur le canevas lancinant des cordes. Le final fait éclater les tensions par une série de traits à l’arraché qui vivifient le coloris tout en sollicitant les ressources techniques les plus inattendues de l’instrument. Devant l’enthousiasme délirant du public, Xavier de Maistre pare de mille nuances l’adaptation que Felix Godefroid avait élaborée du célèbre Carnaval de Venise.

En seconde partie est donnée une autre première suisse, celle de Sechs Augenblicke que l’Orchestre National des Pays de la Loire avait commandé à Michael Jarrell en en assurant la création en 2022. Inspirée par les six Moments Musicaux de Franz Schubert, l’œuvre est d’emblée emportée par de véhéments tutti débouchant sur un no man’s land mouvant où les tenues semblent flotter, avant de céder la place à un pianissimo de la percussion soutenant le lamento déchirant du hautbois que ponctuent de fulgurants tutti. Flûtes et piccolo se livrent ensuite à une incantation envoûtante qui se grisera d’inflexions dansantes. Sur un soutien de basse aux relents étranges, le lento jouera de l’opposition des tessitures que le Final poussera à l’extrême afin de produire de cinglantes déflagrations envenimant le tremolo des cordes.

Par une suite ô combien pittoresque, celle que Zoltán Kodály, tira de son opéra Háry János, en 1927, s’achève ce programme. Jonathan Nott se délecte de la finesse des coloris en mettant en exergue l’ampleur des cordes graves auxquelles répondent les bois amènes, rapidement interrompus par le glockenspiel ordonnant avec précision la marche des cuivres. Sur les glissandi d’un cymbalum babillard, l’alto s’épanche en une touchante complainte que la clarinette ornementera de volutes épicées, avant l’évocation de la défaite de Napoléon dont les cuivres soulignent la grotesque issue, tournée en dérision par un saxophone goguenard. L’Intermezzo pêche par ses traits dansants bien ramollis que bousculera un Final rutilant par ses cuivres omnipotents. En résumé, une palpitante soirée !

Genève, Victoria Hall, le 2 mars 2024

Crédits photographiques : Gregor Hohenberg

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