Călin Humă : un romantique au XXIe siècle

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Călin Humă (1965) : Symphonie-Concerto pour piano et orchestre ; Symphonie n° 1 « Carpatica ». Sergiu Tuhutju, piano ; BBC National Orchestra of Wales, direction Christopher Petrie. 2020. Livret en anglais, en roumain, en français et en allemand. 66.28. Guild GMCD7824.

Ces enregistrements des créations mondiales de deux partitions de Călin Humă  sont à la fois déroutants et séduisants. Déroutants, car, comme le dit la notice, ses compositions « ont été qualifiées de néoromantiques, car il y cherche des éléments nouveaux tout en restant dans le cadre de la tradition tonale », à laquelle il est si profondément ancré qu’en cas d’écoute à l’aveugle, on attribuerait plutôt cette musique à un XIXe siècle finissant. Séduisants, car l’inventivité mélodique est convaincante et vaut de beaux moments concertants et orchestraux qui plairont aux amateurs de romantisme intemporel.

Né en 1965 à Lasi, dans le nord-est de la Roumanie, Călin Humă, dont nous découvrons l’existence, bénéficie, avec le label Guild, d’une notice bien documentée, écrite par Robert Matthew-Walker, traduite en français, qui permet de bien appréhender un parcours qui a abouti depuis plus de vingt ans en Angleterre, et plus précisément au Pays de Galles. Călin Humă est programmé avec succès au Royaume-Uni, mais aussi en Allemagne, ainsi que dans son pays natal. Après avoir mené de front des études commerciales et un apprentissage musical, il a accompli une carrière qui l’a mené à des fonctions diplomatiques : il a été nommé consul honoraire de la Roumanie en Angleterre, où il vit, dans le Hampshire. En mai 2019, dans la Cathédrale de Winchester, un nombreux public a applaudi la création de sa Symphonie n° 2, sous-titrée précisément « Hampshire ». Ce compositeur peu prolifique prépare un concerto pour violon. Sauf erreur, c’est la première fois que deux de ses créations paraissent sur CD. 

Călin Humă a des convictions que l’on peut qualifier de philosophiques : il est sensible au contraste qui existe entre notre monde matérialiste qu’il voudrait voir évoluer et ses aspirations à une dimension métaphysique qu’il essaie de traduire dans sa musique. En 2015, il donne pour la première fois à sa pensée une envergure symphonique en écrivant sa Symphonie n° 1 « Carpatica », qu’il reconnaît être née de « la contemplation des vastes étendues du nord de la Roumanie », sa région natale. Mais au-delà de la nostalgie des paysages et de leur lyrisme ressenti, il désire accorder à sa musique une portée universelle. En écoutant cette belle partition, équilibrée et aux couleurs bien définies à travers une orchestration qui fait la part belle aux bois et aux vents, mais aussi au dosage des percussions, on pense simultanément à d’autres univers symphoniques, en tout premier lieu à Sibelius pour l’ampleur des thèmes et la pulsation, qui se révèle à la fois dramatique et passionnée, mais aussi à des pastels comme ceux de Delius, dans un Largo où le souvenir d’Enesco et du folklore n’est pas absent. L’Allegro final, qui s’ouvre par la caisse claire et un crescendo des cordes, se déploie dans une atmosphère qui apparaît comme une synthèse ou un écho de divers courants romantiques parsemés, de Grieg à Bruckner, avec des rythmes bien marqués et des élans irrésistibles qui aboutissent à une majestueuse coda. Călin Humă arrive ainsi à créer un univers personnel, dont on ne niera pas l’attrait.

La partition qui précède cette Symphonie n° 1 sur le CD est la Symphonie-Concerto pour piano et orchestre, qui date de 2018 et fait de l’instrument un transmetteur de mélodies éloquentes, sobres et denses à la fois, qui mélangent elles aussi plusieurs influences. La notice cite pêle-mêle, au niveau de la structure, Szymanowsky, Busoni (son immense Concerto avec chœur), Sibelius, Richard Strauss, Kodaly et Enesco ! Dans la foulée, on pourrait même y ajouter une pincée de Rachmaninov dans le premier mouvement, et de Rimsky-Korsakov dans l’utilisation de la pâte orchestrale. Mais c’est un intense chant pianistique qui s’élève pendant cette demi-heure, certes peu en phase avec les créations contemporaines, mais qui correspond à l’intention lyrique du compositeur. On ne niera pas à ce dernier un sens de l’intériorité, ni la capacité à unir le soliste et l’orchestre, jamais dominateur, dans un espace expressif agréable à l’oreille en termes de sentiments, d’émotions et de fluidité. 

Voilà une musique qui peut paraître anachronique, et elle l’est sans doute par ces rappels de grands anciens dans la lignée desquels elle s’inscrit de temps à autre comme dans un effet-miroir, mais on saluera le charme, le raffinement, la spontanéité et aussi la part de rêve qui est installée dans la méditation émouvante du second mouvement du concerto. On repense alors à cette volonté du compositeur de faire évoluer notre monde matérialiste, et on s’incline devant cette aspiration qui se traduit par des mélodies claires, dans un langage universel à la portée de chacun. Les interprètes, le pianiste Sergiu Tuhutju et le BBC National Orchestra National of Wales dirigé par Christopher Petrie, servent cette partition avec ferveur, le chef et sa phalange soulignant aussi avec un geste ample les arcanes de la Symphonie n° 1. Ces deux créations mondiales ont eu lieu en novembre 2018, à Cardiff, au Hoddinott Hall du Millenium Centre, dans une acoustique chaleureuse et généreuse.

Son : 9  Livret : 10  Répertoire : 8  Interprétation : 9

Jean Lacroix

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