Coups de projecteur sur le piano d’Antoine Reicha

par

Antoine REICHA (1770-1836) : Musique complète pour piano, volume 4 : Sonate en ré majeur ; Andante en sol majeur ; Fantaisie en mi mineur/majeur op. 61 ; L’Espiègle, Allegro scherzando ; Allegro en mi majeur ; Fantaisie en do majeur ; Fantaisie en si majeur ; Grande Sonate en mi majeur. Henrik Löwenmark, piano. 2020. Livret en anglais. 71.08. Toccata TOCC 0273.

D’origine tchèque, né à Prague en 1770 mais naturalisé français en 1829, Anton/Antoine Reicha laisse le souvenir d’un grand pédagogue. Berlioz, Onslow, Liszt, Gounod et César Franck figurent parmi ses élèves. En 1785, il rencontre Beethoven à Bonn, où sa famille s’est installée après le décès de son père. Plus tard, après un passage par Hambourg, il s’arrête à Paris. Il compose déjà. A Vienne, il se lie avec Haydn, se perfectionne avec Salieri et Albrechtsberger et retrouve Beethoven, dont il est un proche ; il finit par s’installer à Paris en 1808, où il devient professeur au Conservatoire dix ans plus tard. Il écrit des ouvrages théoriques sur la composition et sur l’harmonie, ainsi que son autobiographie. Son abondante production comprend dix-sept symphonies, de nombreux concertos, des opéras, de la musique vocale religieuse et profane, de la musique de chambre où les vents tiennent une place importante et des pages pour piano, dont le label Toccata a entrepris une série d’enregistrements. Le présent CD est déjà le quatrième volume. Les éditions précédentes comprenaient des sonates, des fantaisies, des études, des fugues, des exercices… Le sujet n’est pas épuisé : la découverte du vaste répertoire de Reicha, essentiellement pédagogique, se poursuit.

Né en 1959 à Göteborg, le pianiste et musicologue Henrik Löwenmark s’est fait une spécialité de la production pianistique de Reicha auquel il a consacré une thèse à l’Université de sa ville natale en 2016. Son intérêt pour le compositeur remonte déjà aux années 1980 et peu à peu, il a rassemblé des partitions qui n’ont pas été publiées dans des éditions modernes, en fait presque toute sa musique pour l’instrument. Löwenmark est donc l’interprète logique d’une création à laquelle il a voué toutes ses recherches. Il semble que Reicha ait commencé à composer des pièces à destination pédagogique dès 1799 à Paris, où il est resté un peu plus de deux années avant de rejoindre Vienne. Des sonates ont été publiées à Leipzig dès 1804, d’autres pages ont suivi à partir de son installation définitive dans la capitale française. Le programme du présent CD, qui contient plusieurs premières discographiques, propose des pages qui se situent entre 1800 et 1806, avec un coup d’œil sur un court Allegro Scherzando antérieur intitulé L’Espiègle, dont le titre situe bien le climat enjoué et ludique. On trouve aussi un Andante de 1800, un Allegro de 1803 et trois Fantaisies de 1803 et 1806, qui montrent la diversité d’une inspiration pleine d’agréments, de verve et d’hédonisme.

Mais l’essentiel se situe au niveau de deux Sonates de plus grande envergure, dont la durée, pour chacune d’elles, approche les vingt-cinq minutes. Elles datent de 1805. La Sonate en ré majeur, en trois mouvements, débute par un Allegro bien marqué rythmiquement et se développe dans une atmosphère qui respire la tonicité et la légèreté ; l’imagination créatrice de Reicha se révèle variée et riche en nuances qui vont se manifester par des paliers progressifs qui vont du passage fugué aux notes bien différenciées. Dans le second mouvement, qui est une Marche funèbre, une réflexion s’installe entre des moments mobiles et lestes en alternance avec des traits plus marqués, qui ramènent à l’esprit de l’Allegro initial. Malicieux et même carrément espiègle, le dernier mouvement, sous-titré La Folie, entraîne l’auditeur dans un espace de détente et de respiration dont le développement ressemble parfois à un tourbillon démonstratif, mais toujours de bon goût. 

Quant à sa contemporaine de cette année 1805, la Grande Sonate en mi majeur, elle s’ouvre par un Largo méditatif qui fait un peu penser à ce que Beethoven produira à la même époque (c’est l’année de l’Appassionata), avant de laisser apparaître des contrastes chantants et sereins, qui préparent un magnifique et dramatique Allegro moderato e maestoso, sur un rythme qui peut se révéler lancinant, mais d’un caractère souple et pénétrant, qui n’est pas sans rappeler les leçons de prédécesseurs comme Mozart ou même Jean-Sébastien Bach. L’Allegro assai qui clôture cette belle partition dévoile une écriture ambitieuse qui n’hésite pas à ciseler les différents registres de l’instrument, avec verve et limpidité. 

Il est certain que ces deux sonates seraient idéales pour des programmations de concerts en raison de leur immédiate séduction. Le spécialiste qu’est Henrik Löwenmark trouve ici un terrain propice à sa connaissance de Reicha, qu’il met en pratique avec intelligence, sens des proportions et capacité à rendre les beaux effets que son Steinway, dans cet enregistrement réalisé dans un studio de Stockholm en décembre 2018, rend à merveille.

Son : 9  Livret : 8  Répertoire : 8  Interprétation : 10  

Jean Lacroix

 

 

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