Camille Pépin lance la lumière dans les ténèbres de la nuit
L’OPRL et le Grand Théâtre de Provence ont décidé d’unir leurs forces pour la création de la dernière œuvre de Camille Pépin, La nuit n’est jamais complète d’après un poème de Paul Eluard. Pour l’occasion, Renaud Capuçon, qui avait déjà créé son concerto pour violon, Le soleil a pris ton empreinte, dirigera l’orchestre liégeois dans un concert qui associe la suite d’Intermezzo de Richard Strauss, la Siegfried-Idylle de Wagner et le 4e concerto de Mozart qu’il dirigera du violon.
Camille Pépin a connu une carrière jalonnée de prix : Sacem et Ile de création en 2015, Prix de l’académie des Beaux-Arts en 2017, Victoire de la musique classique en 2020 et Grand Prix Sacem de la musique contemporaine en 2024.Aix-en-Provence l’a découvert lors du festival Nouveaux horizons 2023 où Guillaume Bellom et Renaud Capuçon ont créé Si je te quitte nous nous souviendrons, sa pièce pour violon et piano. Carrefour de l’impressionnisme et du répétitif américain, son œuvre s’inspire de la nature et de la peinture, ses compositions portant des titres poétiques, empruntés ou inventés. Elle écrit elle-même des notices très précises sur ses œuvres, véritables clés pour l’audition.
Une méditation sur la nuit et la lumière
Pour Camille Pépin, il existe une lumière au fond de la nuit : c’est ce message d’espoir qu’elle veut nous communiquer. La partition comporte deux parties, la traversée de moments sombres et la possibilité d’une main tendue. L’œuvre commence dans la rumeur des cordes où circulent de fugitives lueurs des vents et des percussions. Insensiblement, une motricité se met en place, discrète ou violente mais implacablement présente comme si une force secrète traversait l’œuvre. Une lutte s’installe entre la tempête du désespoir et l’espérance d’une main tendue. De grands climax, parfois tragiquement ténébreux s’imposent avant que le climat ne retombe dans une douceur où percent de fugitifs instants de lumière. De ce quasi silence nait au début de la seconde partie, un rêve doux et lumineux marqué par le retour des vents. Le vibraphone inexorable marque la pulsation Le motif obstiné de la tempête intérieure réapparait mais, après un dernier tutti, la matière s’apaise jusqu’au retour progressif de l’atmosphère douce et fragile du début. La texture brumeuse des cordes s’efface en une longue tenue énigmatique : la nuit n’est jamais vraiment complète et on peut croire en une lumière dans la nuit.
Comme tel, l’œuvre semble correspondre à un vécu précis. Dans une interview réalisée à Liège, au cœur des répétitions, Camille Pépin s’en explique tout en nous révélant les composants de son travail de composition.
L’expression est tellement forte que l’on peut se demander si l ’œuvre correspond ? à un vécu
Cela correspond à un vécu fondamental mais pas à une anecdote. Fondamentalement, j’ai besoin de lumière et je suis du côté de l’espoir. Même face à un monde déboussolé et anxiogène avec lequel je veux garder une distance. Ainsi quand je travaille sur une œuvre, je n’écoute pas les informations pour rester sans distraction extérieure au cœur du sujet que je veux traiter.
Par contre, les agressions du monde, en soi me donnent envie d’écrire pour renforcer les liens du côté de la vie.
Vous revendiquez l’aspect répétitif de votre écriture. Comment la mettez-vous en forme ?
La motricité, fondamentale dans ma musique, est basée sur la répétition. La répétition est le support de base d’une pièce : elle constitue fondamentalement un paramètre de mon langage. Je la ressens comme un facteur de force. Elle peut s’exprimer de manières variées : insistante, lourde ou légère : elle domine aussi évidemment mes grands crescendos mais elle habite, ouvertement ou en sous-main, tous les autres moments.
A première écoute, l’œuvre s’impose par le naturel de son déroulement. Mais cette apparente facilité ne dissimule-t-elle pas une grande complexité.
Bien sûr mais la fluidité ressentie résulte du gros travail de préparation fourni par l’OPRL qui permet de travailler dans une vraie continuité. Cette aisance est aussi le résultat du développement organique de l’œuvre qui se développe au moyen de ses propres composantes, sans cesse retravaillées et réarrangées dans un processus autogéré. En fait, Les états d’âme viennent d’un épanchement dans la continuité. Les passages les plus difficiles pour arriver à une continuité sont les transitions : quand deux idées se rapprochent et qu’il faut les relier dans la continuité. C’est un exercice terrifiant : j’y passe beaucoup de temps et parfois jusqu’à la dernière minute quand je crois que le tonus est bon et que je constate que je dois encore ajouter un détail révélateur. Réussir une transition impose de travailler dans l’organique dans la mesure où l’élément nouveau vient naturellement de la totalité. Et ici l’orchestration m’aide beaucoup car les instruments maintiennent des liens organiques avec les idées qu’ils défendent.
Vous êtes aussi une fanatique de la couleur.
J’adore la couleur : j’ai d’abord des idées de couleurs et je me mets à teinter les timbres. Par une association libre et pas par la systématique d’une sorte de synesthésie codée comme chez Messiaen. Les teintes s’imposent à moi au moment où j’en ai besoin et elles m’aident à définir mon développement organique. Certains instruments peuvent jouer un rôle vivifiant. Ainsi les vents et les percussions sont-ils très aptes à créer de la lumière. J’adore la couleur : j’ai d’abord des idées de couleurs et je me mets à teinter les timbres. Par une association libre et par la systématique d’une sorte de synesthésie codée comme chez Messiaen. Les teintes s’imposent à moi au moment où j’en ai besoin et elles m’aident à définir mon développement organique.
Toutes vos œuvres portent des titres poétiques. Quel rôle jouent-ils dans la conception de l’œuvre ?
Mon inspiration peut être réelle ou inventée. Un poème ou une toile me parle et la musique m’aide à exprimer cette forme d’attraction. Mais je n’écris pas ma musique comme l’expression d’un texte. Ce dernier rencontre une sensation en moi qui correspond à quelque chose que je veux exprimer.
N’avez-vous pas l’impression de jouir d’une plus grande liberté créatrice que les compositeurs des générations précédentes qui devaient répondre aux canons d’une modernité radicale ?
C’est absolument évident. On dispose aujourd’hui de la grande liberté de dire ce qu’on a à dire avec les moyens qui nous semblent appropriés. Nos professeurs ont dû se battre pour débloquer la terreur des formes imposées que la génération précédente avait inexorablement subi. Aujourd’hui tout peut exister : on peut produire ce que l’on veut. Cette ouverture provoquera à coup sûr des excès et des simplifications outrancières. Ici comme ailleurs, on devra séparer le bon grain de l’ivraie mais l’histoire nous apprend que le temps est ici bon juge.
Autrefois, un compositeur travaillait avec des schémas fixes (forme-sonate, fugue,…) qui balisait le travail d’écriture. Comment vit-on l’absence de références de certains processus actuels ?
On n’a certes plus le support formel de cadres préexistants mais, franchement, je ne trouve pas normale cette technique qui consistait à s’attribuer des programmes préétablis par d’autres. Je crée ma propre construction comme un architecte avec des produits que l’on assemble. J’établis parfois un parallèle avec les fils qu’utilisent les grands réalisateurs de cinéma pour passer d’une scène à l’autre. La peinture est une autre source d’inspiration : des textures des couleurs y créent des sensations, des émotions. Et le résultat ne manque pas de structure.
Vous écrivez vous-mêmes les textes de présentations de vos œuvres qui sont d’une belle clarté didactique. Comment vous y prenez-vous ?
Je les rédige à l’extrême fin. Je n’écris rien avant d’avoir fini un œuvre mais je prends beaucoup de notes tout au long de mon travail de composition. A la fin, je reconstitue les pièces du puzzle, fait un tri afin de donner sa juste mesure à la trame de l’œuvre, ce qui implique qu’elle soit terminée.
Voulez-vous faire passer des messages dans vos œuvres ?
Je ne suis pas missionnaire. Je n’écris pas pour endoctriner les gens. J’écris ma musique parce que j’ai besoin d’exprimer quelque chose et tant mieux si cela les motive davantage.
J’ai besoin d’écrire et j’ai besoin d’espoir. Et il se fait que je trouve plus facile de traduire des émotions en musique plutôt que de les décrire. La musique permet d’exprimer toute la complexité du non-dit. C’est pour cela que l’art est un passeur extraordinaire. A chacun ensuite de le vivre à sa façon : c’est un facteur de liberté.
Le site de Camille Pépin : www.camillepepin.com
Au concert :
Le Jeudi 23 octobre au Grand Théâtre de Provence et le samerdi 25 octobre à la Salle Philharmonique de Liège avec l'Orchestre philharmonique royal de Liège et Renaud Capuçon.
Propos receuillis par Serge Martin
Crédits photographiques : Capucine de Chocqueuse