Théâtre musical – Comédies musicales

Au Lido, les Demoiselles de Rochefort reviennent à Paris

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L’histoire des comédies musicales parisiennes est ainsi faite que l’on est presque toujours condamné à la transposition. Si cette dernière réside habituellement dans l’importation de créations anglo-saxonnes, il arrive toutefois que l’on assiste également à des retranscriptions d’œuvres initialement cinématographiques. Tel est ainsi le cas avec cette adaptation de la plus culte des comédies musicales françaises, signée Jacques Demy et Michel Legrand. Près de 22 ans après la kitschissime tentative 2003, cette production a toutefois la sagesse -pour ne pas dire le bon goût de se cantonner au matériel de 1967 et de maximiser les partis pris intemporels.

La mise en scène de Gilles Rico doit ainsi composer avec la singularité du Lido. Ancien cabaret, et disposant à ce titre d’une disposition scénique unique sur le paysage théâtral parisien, la convergence des regards porte essentiellement sur une avant-scène montante, bordée de tables sur trois côtés. Le parti pris résidera donc dans une essentialisation des lieux, avec principalement trois lieux abordés, les rues de Rochefort, le café d’Yvonne et l’appartement des jumelles ; quand bien même quelques décors amovibles viendront compléter les tableaux. Outre ces éléments physiques, saluons également le bon usage des écrans en prolongement de cette vision, avec des projections 3D globalement neutres et accentuant la concentration de l’action tout en étoffant le rendu visuel des tableaux.

Cette production procède de nouveau à une séparation, sans mauvais jeu de mots en deux actes successifs ; le premier s’achevant avec « De Hambourg à Rochefort » quand le second débute avec … « La femme coupée en morceaux ». Force est de reconnaître que cette dichotomie fonctionne particulièrement bien, dans la mesure où la succession de passage plus monolithique du 1er acte connaît ainsi un final choral avec la superposition d’une multitude de leitmotivs avant de céder la place aux marivaudages désormais rendus possibles de la seconde partie. L’on note également quelques ajouts, pas toujours heureux, à l’instar de la scène de la malle avec Dutrouz, où encore de la plaisanterie de Maxence pour laquelle la rupture de ton isolée tombe finalement comme un cheveu sur la soupe. L’on remarque également deux relectures comiques de personnages : le Lancien de Victor Bourigault penche davantage vers une pathétique veulerie quand le Boubou de Daniel Smith, qui passe le plus clair du temps à cabotiner à grand renfort de pirouettes en tout genre à manifestement très redoublé ! Finalement, l’utilisation de la scène du Lido pour la Kermesse dans un long passage instrumental tire le maximum de l’un des passages les moins populaires de la partition de Legrand.

Peer Gynt d’Olivier Py au Châtelet : un spectacle hallucinant

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Peer Gynt est un poème dramatique d’Henrik Ibsen, mis en musique par Edvard Grieg. Adapté en Français et mis en scène par Olivier Py, il se donne actuellement au Théâtre du Châtelet, à Paris. Porté par un Bertrand de Roffignac absolument époustouflant, ce spectacle est hallucinant à plus d’un titre.

Henrik Ibsen, auteur norvégien, en avait écrit le texte, en 1866. Qualifié de Lesendrama (drame en lecture), c’est alors une pièce destinée à être lue mais non représentée. En 1874, Edvard Grieg, jeune compositeur norvégien prometteur, lui adjoint une musique d’accompagnement. En 2025, Olivier Py, metteur en scène et actuel directeur du Théâtre du Châtelet (Paris), en propose sa version. « Tradaptée » par ses soins en Français, elle oscille entre opéra-comique, vaudeville, opérette et tragédie, sans jamais relâcher un haut niveau de tension dramatique et de talent.

Peer Gynt, avatar fantasmé d’Ibsen, est un personnage fantasque, ridicule, épuisant, attachant et fortement déséquilibré. Il entretient une relation quasi-fusionnelle avec sa mère, chevauche des boucs imaginaires ou encore des femmes-trolls, est incapable de s’engager vis-à-vis de la femme qu’il aime, s’enivre à en perdre la raison et part tenter sa chance par le vaste monde, devenant brigand, contrebandier ou encore marchand d’esclaves. Lubrique et excité, mythomane et même schizophrène, il nous partage ses hallucinations, plus de trois heures durant, porté avec une énergie hors du commun par le comédien Bertrand de Roffignac. C’est dérangeant, éprouvant et génial. 

« Gypsy » de Jule Styne, une comédie musicale savoureuse et réjouissante

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Gypsy  est une comédie musicale de Jule Styne, créée en 1959 sur un livret d’Arthur Laurents et des paroles de Stephen Sondheim. Jule Styne a connu le succès à Broadway dès 1947 avec notamment « Les Hommes préfèrent les blondes »,  Funny Girl  ou encore  Sugar  d’après le film  Certains l’aiment chaud. Arthur Laurents était « une légende vivante ». Stephen Sondheim écrira les paroles des lyrics de  West Side Story. Voilà donc « trois bonnes fées » qui se sont penchées sur le berceau de « Gypsy ». On comprend sa réussite. L’œuvre a même été qualifiée de « mère des comédies musicales ».   

Son livret est librement inspiré des mémoires d’une artiste célèbre du « burlesque » (aux Etats-Unis, ce sont des spectacles où le strip-tease est mis en contexte scénique), Gypsy Rose Lee (1911-1970), qui raconte comment sa mère Rose a tout fait pour que sa sœur Louise et elle-même réussissent, triomphent, dans le monde du Musical. Une mère au tempérament, à l’énergie, au jusqu’au-boutisme, aux ruses incroyables. Un sacré personnage donc, idéal pour devenir à son tour l’héroïne d’une comédie musicale.

Come Bach au Lucernaire : l’universalité du Cantor de Leipzig comme héritage

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Portée par un quatuor féminin débordant d’énergie et de complicité, ce tourbillonnant hommage à Bach mis en scène par Gérard Rauber démontre tant son œcuménicité que la multitude de ses influences.

Peut-on concilier musique classique et humour ? Dans une piètre interprétation du rire bergsonien, la grande majorité des spectacles prétendant s’y risquer se bornent, à la manière d’une mauvaise comédie populeuse, à souligner un supposé décalage entre des gags plus ou moins gras et les aspects supposément altiers et élitistes du genre musical. Tel n’est fort heureusement pas le cas de ce spectacle où l’humour, fort variable dans ses formes, allant du pantomime avec le B-A-C-H d’Arvo Pärt au calembour avec la Bacchanale de Saint-Saëns, tout en passant par une explication du contrepoint particulièrement savoureuse, demeure toujours en musicalité et diablement rythmée; et ne vient que renforcer la facilité d’accès au compositeur et ses émules.

La qualité musicale n’est d’ailleurs pas en reste. On se demande encore comment Anne Baquet réussit à surmonter ce marathon vocal sans se réhydrater une seule fois durant ce kaléidoscope d’1h10. La projection est toujours bien dosée et l’articulation claire à l’instar des voyelles et « Ma plus courte chanson », le timbre déploie une musicalité remarquée, vectrice d’émotion. Au piano, Christine Fonlupt (en alternance avec Claude Collet) se démarque quant à elle tant par ses grandes qualités d’écoute dans les passages accompagnateurs, mais aussi, notamment par la puissance chaloupée de son jeu dans la toccata de Kaspoutin.

Succès populaire pour la recréation parisienne des Misérables

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Il régnait ce 21 novembre une effervescence place des théâtres faisant écho à celle de début juin 1832. Pour cette nouvelle production où orchestration et paroles ont été légèrement modifiées, Ladislas Chollat prend le contrepied total de la production londonienne, donnée depuis bientôt 40 ans au théâtre Sondheim.

Fait notable, chaque production d'envergure des "Miz" reprend toujours la même gravure de Cosette en affiche. La scénographie d'Emmanuelle Roy déclare se baser sur une gravure de Doré illustrant la Divine Comédie, représentant l'ascension de Dante. Concrètement, deux éléments mobiles viennent structurer la scène du Châtelet, également agrémentés de trois autres structures plus épisodiques, dépeignant respectivement le rade montfermeillois, la barricade, ainsi que la cour du n°7, rue de l'homme armé.

La production étant faite avec l'accord de Cameron Mackintosh Ltd, on se risquera à faire ici la comparaison entre Paris et Londres. Ainsi pour le reste, point de tournette -qui faisait pourtant tout le sel du périple de Valjean dans le prologue ou encore de l'air "Maître Thénardier" outre-Manche- mais une utilisation extensive des projections tant en avant scène qu'en fond, avec des vidéos aux airs d'aquarelles signées Cutback dans l'air du temps et remarquées d'esthétisme. Afin d'accentuer la théâtralité, la fin du prologue donne lieu à une projection du titre plutôt que d'indiquer la rupture des unités de temps et de lieux, rendant illisible la trame narrative au néophyte.

C'est peut être pour la barricade rue de la Chanvrerie que cette impossibilité de faire pivoter le décors sur lui-même se fait le plus sentir ; Gavroche devant désormais revenir hors scène pour finalement mourir dans les bras d'Enjolras. Sur cette même barricade, d'aucuns déploreront également l'absence de coups de canons lors du dernier assaut, qui pourtant jouissait d'une partition millimétrée ainsi que d'une dramaturgie remarquée.

Claude-Michel Schönberg, compositeur de l'œuvre, décrivait en entretien que Victor Hugo avait su décrire l'ambiguïté des personnages de façon magistrale. Il faut bien avouer que des nuances, la production londonienne n'en avait guère, entravée par un livret simplifiant à outrance le plaidoyer d'Hugo : et atteignait des sommets de manichéisme avec les rapides coups de projecteur illuminant Fantine, Eponine, Jean Valjean et Gavroche lors de leurs décès. Point de cela dans le discret travail d'Alban Sauvé mais l'on n'échappe pas à la sensiblerie et aux bons sentiments à la truelle pour autant. En témoignent l'insertion d'une passe de Fantine des plus explicites et en silence avant l'irruption de Bamatabois durant le premier acte -quitte à faire un ajout misérabiliste, pourquoi de pas avoir plutôt rajouter le personnage de l'arracheur de dent-; ou encore une rupture du quatrième mur tombant comme un cheveux sur la soupe durant le mariage, durant lequel Alexandra Cravero, outrageusement amplifiée corrige Thénardier après que ce dernier l'ait appelée Maestro.