Succès populaire pour la recréation parisienne des Misérables

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Il régnait ce 21 novembre une effervescence place des théâtres faisant écho à celle de début juin 1832. Pour cette nouvelle production où orchestration et paroles ont été légèrement modifiées, Ladislas Chollat prend le contrepied total de la production londonienne, donnée depuis bientôt 40 ans au théâtre Sondheim.

Fait notable, chaque production d'envergure des "Miz" reprend toujours la même gravure de Cosette en affiche. La scénographie d'Emmanuelle Roy déclare se baser sur une gravure de Doré illustrant la Divine Comédie, représentant l'ascension de Dante. Concrètement, deux éléments mobiles viennent structurer la scène du Châtelet, également agrémentés de trois autres structures plus épisodiques, dépeignant respectivement le rade montfermeillois, la barricade, ainsi que la cour du n°7, rue de l'homme armé.

La production étant faite avec l'accord de Cameron Mackintosh Ltd, on se risquera à faire ici la comparaison entre Paris et Londres. Ainsi pour le reste, point de tournette -qui faisait pourtant tout le sel du périple de Valjean dans le prologue ou encore de l'air "Maître Thénardier" outre-Manche- mais une utilisation extensive des projections tant en avant scène qu'en fond, avec des vidéos aux airs d'aquarelles signées Cutback dans l'air du temps et remarquées d'esthétisme. Afin d'accentuer la théâtralité, la fin du prologue donne lieu à une projection du titre plutôt que d'indiquer la rupture des unités de temps et de lieux, rendant illisible la trame narrative au néophyte.

C'est peut être pour la barricade rue de la Chanvrerie que cette impossibilité de faire pivoter le décors sur lui-même se fait le plus sentir ; Gavroche devant désormais revenir hors scène pour finalement mourir dans les bras d'Enjolras. Sur cette même barricade, d'aucuns déploreront également l'absence de coups de canons lors du dernier assaut, qui pourtant jouissait d'une partition millimétrée ainsi que d'une dramaturgie remarquée.

Claude-Michel Schönberg, compositeur de l'œuvre, décrivait en entretien que Victor Hugo avait su décrire l'ambiguïté des personnages de façon magistrale. Il faut bien avouer que des nuances, la production londonienne n'en avait guère, entravée par un livret simplifiant à outrance le plaidoyer d'Hugo : et atteignait des sommets de manichéisme avec les rapides coups de projecteur illuminant Fantine, Eponine, Jean Valjean et Gavroche lors de leurs décès. Point de cela dans le discret travail d'Alban Sauvé mais l'on n'échappe pas à la sensiblerie et aux bons sentiments à la truelle pour autant. En témoignent l'insertion d'une passe de Fantine des plus explicites et en silence avant l'irruption de Bamatabois durant le premier acte -quitte à faire un ajout misérabiliste, pourquoi de pas avoir plutôt rajouter le personnage de l'arracheur de dent-; ou encore une rupture du quatrième mur tombant comme un cheveux sur la soupe durant le mariage, durant lequel Alexandra Cravero, outrageusement amplifiée corrige Thénardier après que ce dernier l'ait appelée Maestro.

Pour le reste, il convient également de souligner quelques différences notables dans la mise en scène et "l'actualisation" des paroles d'Alain Boublil sur une partie non négligeable du livret, notamment durant "A la volonté du peuple", le texte de Thénardier où encore "Le grand jour". Au sujet de ce dernier, M. Chollat livre une vision intéressante où les premiers personnages, dont les thèmes musicaux se superposent, passent d'un faisceau de lumière à l'autre. Dommage que cette idée ne survive pas à l'entrée des chœurs, d'autant plus que l'on connaît la formidable intensité que ce final du premier acte peut atteindre. De même, la confrontation entre Valjean et Javert se fait désormais au milieu des bonnes sœurs et perd sensiblement en amplitude. La scène de la charrette se passe d'ailleurs désormais directement après l'arrestation de Fantine sans la moindre espèce de rupture.

Musicalement parlant, l'orchestration néoclassique des Misérables implique habituellement une technique de chant en accordance sur l'ensemble de la distribution. Force est néanmoins de constater une certaine dichotomie vocale entre les rôles.

Ainsi le Javert de Sébastien Duchange inquiète d'abord par sa mise en place durant le prologue avant de complètement rassurer lors de la scène d'arrestation de Fantine. Dans "Sous les étoiles", le timbre est légèrement voilé et le caro accentué. La tenue des lignes de chant ainsi que la musicalité générale est remarquée, sans que l'intensité dramatique n'en pâtisse.

Benoît Rameau livre un Jean Valjean à la projection savamment dosée, à l'aise sur toute sa tessiture nonobstant l'ambitus vertigineux du rôle. S'il ne fallait retenir qu'un seul passage le concernant en ce soir de première, cela serait le dilemme de "Comment faire" auquel il réussit à insuffler une amplitude et une émotion aussi intense que progressive , le tout avec une exécution magistrale de la dernière phrase, pourtant ô combien redoutable, de cet air. La musicalité et la longueur de souffle sont également au rendez-vous.

En Cosette, Juliette Artigala bénéficie d'un timbre large et d'un vibrato ample, ainsi que d'aigus particulièrement remarqués notamment durant "Le coeur au bonheur"

Parmi les seconds rôles, citons l'évêque de Digne de Maxime de Toledo, au vibrato fort bien dosé et jouissant également de très bonnes articulation et projection dans les graves. L'Enjolras de Stanley Kassa est globalement de bonne tenue malgré une dernière note fausse et des plus audibles sur la barricade.

D'autres trahissent par leurs rendus une prédominance pour la pop et la variété dans leurs formations musicales. Tel est par exemple le cas de la Fantine campée par Claire Pérot dont la tessiture semble quelque peu légère. Peut être est-ce dû au stress en ce soir de première, mais l'on regrette une tendance à accélérer durant le "J'avais rêvé" ainsi qu'une longueur de souffle et amplitudes de souffle un peu juste durant la voyelle longue de "passe". La justesse est à deux reprises fragile, mais s'explique par l'intensité dramatique privilégiée à ces moments. Le final ainsi que ses retrouvailles avec M. Madeleine n'appellent en revanche aucune réserve.

En Eponine, Océane Demontis livre un "Mon histoire" particulièrement applaudi. Sertis par ses clartés de timbres et d'articulation, ainsi que par de fort bonnes projections, longueur de souffle et intensité dramatique. Les duos avec le Marius de Jacques Preiss sont ainsi remarqués d'équilibre, compte tenu de la légèreté de la tessiture de ce dernier. Le concernant l'on note quelques attaques de notes par en dessous. Dommage que dans "Seul devant ces tables vides", la projection soit trop légère pour permettre un réel crescendo.

Finalement les Thénardier de David Alexandre et Christine Bonnard sont fidèles à l'intention d'écriture du rôle y compris dans leurs aspects les plus abjects et comiques. Dans la scène des égouts,  on note même une présence scénique, et une musicalité qu'envieraient bien des tenants londoniens du rôle.

En dehors d'un manque de précision sur le premier couplet de "Tu viens chéri", soulignons la bonne préparation des chœurs, atteignant un summum de cohérence rythmique dans "Quand un jour est passé". L'orchestration "moderne" nécessitait à l'origine 22 musiciens avant d'être réduite à 14, nécessitant désormais jusqu'à 5 instruments pour certains d'entre eux à l'instar de la flûtiste. A la tête de cette phalange commando, Alexandra Cravero montre ses qualités dans le genre, avec une gestuelle de chef de chant aussi solide et rassurante qu'expressive, bien que le rendu global mette quelques secondes à monter en puissance, tant au premier qu'au second soir.

Malgré ces quelques réserves, la puissance du matériau originel ainsi que les thèmes de Schönberg continuent de faire mouche et ce sont des applaudissements particulièrement bruyants qui viennent s'égrainer tout au long de la représentation avant de se muer en une longue ovation debout dès le tombé du rideau, accentuée encore par la venue des deux démiurges sur scène au milieu de la troupe. A la volonté du peuple, l'on risque donc fort de les retrouver pendant des années encore.

Paris, Théâtre des Champs-Elysées, 21 novembre 2024

Axel Driffort

Crédits photographiques : Thomas Amouroux

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