Célèbres pages de Morton Gould, -hélas édulcorées dans un idiome qui n’est pas le leur ?

par

Morton GOULD (1913-1996) : Symphonettes nos 2-4. Spirituals for orchestra. Arthur Fagen, Orchestre symphonique de la Radio viennoise. Janvier 2019. Livret en anglais. TT 65’40. Naxos 8.559839

Morton Gould se distingua comme une figure majeure de la vie musicale américaine au XXe siècle. Il endossa de prestigieuses responsabilités institutionnelles, notamment président de l'American Society of Composers, Authors, and Publishers. Il exerça en tant que chef d’orchestre, et non les moindres phalanges, ainsi sa glorieuse série à Chicago chez RCA. L’enregistrement de la première Symphonie de Charles Ives (1967) fut récompensé par un Grammy Award. C’est surtout en tant qu’arrangeur qu’il se fit admirer, dans une veine qu’on qualifierait aujourd’hui de crossover. Puisant aux meilleures sources d’inspiration (adolescent, il empruntait des partitions à la Bibliothèque de New York : Schoenberg, Varèse...), il composa aussi. Et précocement. Enfant prodige, des juvenilia furent publiées quand il n'avait que six ans ! Il écrivit pour Broadway, pour l’écran. Aussi des morceaux de concours, et des pages sérieuses, dirigées par quelques éminentes baguettes de l'époque : Arturo Toscanini, Leopold Stokowski, Fritz Reiner !

Les quatre Symphonettes (terme hypocoristique pour le genre de sinfonietta) furent achevées avant que Gould n’atteigne trente ans. Le jazz, le blues, le country, le swing se mêlent à un langage classique, voire se coulent dans une forme-sonate conventionnelle, ainsi le moderately fast, with vigor and bounce de la Symphonette no2. Laquelle reste appréciée pour sa Pavanne dont vous reconnaitrez peut-être la débonnaire mélodie, d’abord cancanée par la trompette bouchée. Un joyeux fast and racy conclut l’affaire. Ces œuvres typées, entre bonbonnière de cartoon et music hall, réclament un style difficilement transposable. Exigeant du tongue in cheek, de la verve telle qu’on l’applaudit dans l’avenue des ticker-tape parades. Avec le London Philharmonic, Kenneth Klein (Emi, janvier 1990) s’en approchait. On se doit d’avouer que l’orchestre de la Radio viennoise reste loin, très loin, de l’idiome souhaitable. Jeu précis, soigné, proprement articulé, mais pâle… Voire réfractaire à l’entrain. Le ton scolaire, refusant de s’encanailler, produit un effet assez décalé. Qu’on ne s’attende pas à un juke box ! La placide lecture de la Symphonette no3 reste bien sage. Imaginons comment un Leonard Bernstein aurait endiablé ces pages qu’il n’enregistra hélas jamais ! Et pour cause : les deux hommes ne s’estimaient guère… 

La Latin-American Symphonette requiert les condiments et la verdeur rythmique que courtisent le titre des danses (rhumba, tango, guaracha, conga). Adaptée en ballet en 1947 à San Francisco, elle fut qualifiée de Gaîté parisienne à la sauce latino. Ce pittoresque, Felix Slatkin et son Hollywood Bowl (chez Capitol), Howard Hanson et son Eastman-Rochester (Mercury), Gould lui-même et le London Symphony (Citadel) nous apprirent comment l’aborder dans un adéquat arbre généalogique. Même Maurice Abravanel et ses troupes de l’Utah mormon (Vanguard) abondèrent la discographie. Pour vivifier le boogie-woogie de ces miniatures, les pupitres de l’ORF (dont la réputation n’est pas à prouver dans d’autres répertoires) se montrent à peu près aussi convaincants qu’un brass band dans Le Beau Danube Bleu. C’est très pro, mais is that entertainment ?

Les Spirituals for String Choir and Orchestra de 1941 (ne pas confondre avec les Spirituals for String Orchestra and Harp de 1959) demeurent un opus notoire de Gould. Des maestros tels que Dimitri Mitropoulos, Efrem Kurtz, Pierre Monteux s’en emparèrent. Proclamation plante un décor dramatique, assertorique, ponctué de déflagrations : un écho de l’intensité de caractère de la communauté d’origine africaine aux USA. Sorte d’hymne, Sermon se veut plus calme mais pas totalement serein : le climat pastoral se trouble de revendications larvées. Le bref A Little bit of sin rumine sur un terrain de pizzicati, râpe, xylophone, violons délurés, clarinette espiègle, et cuivres baroudeurs, traduisant la métamorphose du spiritual vers le jazz des twenties. Le festif Jubilee introduit finalement une réjouissance tapageuse, dans une effervescence western. Avant lui, le célèbre Protest : interjections véhémentes qui rebondissent lourdement sur la timbale, harangue, trémolos terrifiants, violons qui fomentent quelque discours séditieux. Cet anxiogène brûlot fut choisi pour le générique de l'émission de débat Les Dossiers de l'écran télédiffusée en France de 1967 à 1991, un des grands succès d'Antenne 2. Vers la fin de sa vie, le compositeur confessait qu’il essaya de s’acquitter « avec discipline et métier ». La probe interprétation guidée par Arthur Fagen révèle l’habileté de l’écriture, la subtilité de la partition, mais se situe en deçà de la version de Walter Susskind à Londres (Everest, août 1958) qui pourtant manquait de nerf. Autant dire qu’elle ne saurait rivaliser avec les témoignages historiques d’Artur Rodzinski (Columbia, mai 1946), Antal Dorati (Mercury, février 1953), et Gould lui-même avec le Symphonique de Chicago (RCA, février 1965) qui pour ces derniers bénéficiaient en outre d’un apparat audiophile. Ce volet light music de la série American Classics de Naxos risque de vous détourner du réel intérêt de ces œuvres bien plus intéressantes et stimulantes que ce qu’on entend ici. Ce disque méritoire mériterait-il l’indulgence quand même la plate et tiède prise de son contribue à une écoute déçue ?

Christophe Steyne

Son : 5 – Livret : 9 – Répertoire : 8 – Interprétation : 5

 

 

 

 

 

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