Portrait de Dmitri Kitajenko en jeune chef 

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Collection Dmitri Kitajenko. Sergei Rachmaninov (1873-1943) :  Aleko, symphonie en ré mineur "jeunesse", Printemps, op.20 ;  Nikolai Rimsky-Korsakov (1844-1908) : Le Coq d’Or ;   Leonard Bernstein (1918-1990) : Symphonie n ° 2 (L'âge de l'anxiété); Aram Khachaturian (1903-1978)  : Gayaneh ; Yuri Butsko (1938-2015) : Symphonie n° 2 ; Irakli Gabeli (1945-2009) : Symphonie n°1 (Dialogue dramatique); Alexander Flyarkovsky (1931-2014) : Urildaan, poème festif sur les thèmes bouriates ; Oleg Yanchenko (1939-2002): Symphonie "Andrei Rublev" ; Dmitri Kabalevsky (1904-1987) : Roméo et Juliette, Suite ; Mikis Theodorakis (né en 1925) : symphonie n°7 (Printemps); Richard Strauss (1864-1949) : Don Juan, op. 20; Valery Kamyshov, piano ; Svetlana Volkova, Elena Ustinova, sopranos ; Sergei Larin, Alexander Fedin, ténors ; Yuri Mazurok, baryton ; Evgeny Nesterenko, basse. The Latvian Academic Chorus, Kaunas State Chorus, The Grand Academic Choir of USSR Central Television and All Union Radio, Chœur académique d'État de Yurlov, Orchestre du théâtre musical académique de Moscou Stanislavski et Nemirovitch-Danchenko, Orchestre philharmonique de Moscou, Dmitri Kitajenko ; 1974-1989.  Melodiya MEL CD 1002645. 

Le chef d’orchestre russe Dmitri Kitajenko célèbre cette année ses 80 ans et à cette occasion le label russe Melodiya publie un bel ensemble anniversaire pour l’instant exclusivement disponible en digital. Remy Franck, président du Jury des International Classical Music Awards et Rédacteur en chef de Pizzicato a été l’un des responsables des choix éditoriaux de ce coffret. 

Cette parution reprend des bandes gravées dans les années 1970 et 1980 avant que le chef ne quitte la Russie pour l’Occident. Il en résulte un panorama captivant de la vie musicale en URSS dans ces années et on se plait à découvrir un florilège de compositeurs alors contemporains pour la plupart complètement inconnus dans notre Europe de l’Ouest. 

Mais revenons tout d’abord à Dmitri Kitajenko. En 1969, il remporte haut la main la première édition du Concours Karajan et le jeune homme est aussitôt nommé à la direction musicale du Théâtre Stanislavski  de Moscou, puis de l’Orchestre philharmonique de Moscou à la suite de Kirill Kondrashin.  Le jeune prodige se voit offrir des enregistrements de Coq d’Or de Rimski-Korsakov et d’Aleko de Rachmaninov. Si la gravure de l’opéra de Rimski-Korsakov est une référence connue et régulièrement rééditée, l’enregistrement d’Aleko est une rareté et une merveille. Le chef trouve le ton juste dans cette courte partition magnifiée par des mélodies superbes et des parties chorales puissantes et émouvantes : du Rachmaninov comme on aime !  Certes, on est dans une école russe du chant qui interpelle par sa puissance, mais cette énergie est au service d’une partition qui s’y prête. Rachmaninov est également représenté par sa courte mais si belle cantate le Printemps pour baryton choeur et orchestre et par le seul mouvement de la Symphonie en ré mineur nommée “Jeunesse”. Dans  ces deux oeuvres, Kitajenko est parfait de ton et de style.  

Du côté du répertoire classique soviétique, le jeune lauréat du Concours Karajan avait eu l’opportunité de graver des extraits de Gayaneh de Khatchatourian au pupitre de l'orchestre du Théâtre Stanislavski et Nemirovich-Danchenko de Moscou. La direction du chef est bigarrée et en technicolor mais l’orchestre semble limité techniquement et la prise de son est assez rugueuse. On reste dans le registre de la musique de scène avec le Roméo et Juliette de…. Kabalevsky et ses dix numéros. Cette musique composée en 1956 sonne avec sens des couleurs et virtuosités, mais comme toujours avec les oeuvres de ce compositeur, cet art d’artisan ne peut prétendre au rang de chef d'oeuvre.

Comme nous l’écrivions en introduction, l’un des apports de ce coffret est de nous faire découvrir des compositeurs soviétiques actifs dans les années 1970-1980. Sur fond de Détente, Glasnost et Perestroïka, le public occidental découvrit des compositeurs d’avant-garde qui s’éloignaient des préceptes d’un art néo-réaliste et académique officiel. Toute une génération de jeunes musiciens conquirent alors le “Monde Libre” : Arvo Pärt, Alfred Schnittke, Galina Oustvolskaïa ou Giya Kancheli...Mais tant d’autres ne furent jamais exportés au-delà du rideau de fer. Pourtant, entre cette avant-garde et les compositeurs académiques, il existait toute une série de noms intéressants : Irakli Gabeli, Alexander Flyarkovsky,  Oleg Yanchenko ou Youri Boutsko. Compositeur de musique de film, Alexander Flyarkovsky donne dans l’écriture brillante et rythmée avec un Urildaan sur des thèmes bouriates qui sonne comme une musique de...western. Avec  Irakli Gabeli,  Oleg Yanchenko ou Youri Boutsko, on est dans une musique qui se cherche entre une grande tradition symphonique russe et des expérimentations : les pupitres de l’orchestre et les chanteurs sont parfois rejoints par l’orgue, le piano, un synthétiseur ou même une guitare éléctrique. Ces compositeurs ont en commun des climats sombres et des contrastes violents, témoins d’une époque pessimiste sur son avenir dans un état alors en pleine lente agonie. Les noires tensions de ces partitions en font des dramaturgies de poche, parfois pas si éloignées de l'efficacité d'un Ennio Morricone.  Aucune de ces partitions n’est en soi un chef d’oeuvre, mais ce coffret rend hommage à une face méconnue de la musique en URSS.  

Du côté du répertoire contemporain international, Kitajenko affronte l’imposante symphonie n°7 de Theodorakis. Requérant soprano, contralto, ténor basse, double chœur mixte et orchestre symphonique, cette partition est presque mahlérienne dans sa durée et son ambition dramatique à programme. La hauteur d’inspiration et l’engagement du chef portent cette pièce à paroxysme magmatique ! Le coffret digital propose également une curiosité : la Symphonie n°2 de Leonard Bernstein avec Valery Kamyshov au piano. Oeuvre teintée de jazz assez inattendue de l’autre côté du Rideau de fer, cette partition connaît ici une lecture profonde, engagée et sombre, même si le valeureux philharmonique de Moscou sonne très russe (cuivres !) se montrant parfois hors style. 

En conclusion de ce parcours, Melodiya offre Don Juan de  Richard Strauss. Officiant au pupitre de la philharmonie de Moscou, Kitajenko dirige avec sens narratif ce poème symphonique taillé pour le jeune démiurge des podiums qu’il était ! 

Dès lors, ce coffret numérique est un bel hommage qui apporte surtout un éclairage passionnant sur les années musicales 1970 et 1980 en URSS. Les amateurs de sonorités russes des orchestres pourront également se régaler. Melodiya n’a jamais été un label hifiste, mais les reports sont de grande qualité en dépit d’un fini technique qui garde son jus d’origine.   

Son : 7  -  Répertoire :  8  Interprétation : 9

Pierre-Jean Tribot 

 

    

 

 

      

 

 

 

 

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