Clementi, Mozart et Beethoven :  trois cartes de visite pour la pianiste Anna Khomichko

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Beginnings. Ludwig van Beethoven (1770-1827) : Concerto pour pianoforte et orchestre en mi bémol majeur Wo04. Muzio Clementi (1752-1832) : Concerto pour piano et orchestre en do majeur. Wolfgang Amadeus Mozart (1756-1791) : Concerto pour piano et orchestre n° 5 en ré majeur K. 175. Anna Khomichko, piano. Orchestre philharmonique de Heidelberg, direction Mino Marani. 2024. Notice en anglais et en allemand. 69’ 50’’. Genuin GEN 25925. 

En 2023, la pianiste Anna Khomichko, qui est issue d’une famille biélo-ukrainienne et a vécu dans le nord de la Russie, signait, pour le label Genuin, son premier album où se côtoyaient des sonates de deux fils de Bach, Carl Philipp Emanuel et Johann Christian, ainsi que de Clementi et Mozart. Cette jeune artiste, qui a joué du piano dès l’âge de quatre ans, a été formée à l’Académie Gnessin de Moscou, puis à Weimar et à Cologne, et a remporté quelques concours. Elle s’est installée en Allemagne. Voici son deuxième album pour le même label leipzigois. Avec un choix de trois concertos peu fréquentés.

Le Concerto pour piano et orchestre Wo04 de Beethoven date probablement de 1784, mais rien n’indique que le jeune Ludwig, âgé de 14 ans, l’ait joué en public. La partition autographe ayant disparu, il a été reconstitué par le musicologue suisse Willy Hess, d’après une copie de la partie pour piano et d’une réduction de la partie orchestrale, et joué intégralement pour la première fois à Londres en 1968. Dans un style proche de Johann Christian Bach où la virtuosité du piano prime sur l’accompagnement orchestral (cordes, flûtes et cors par deux), il a fait l’objet d’autres détails d’orchestration, notamment par Michael Korstick, qui l’a gravé en 2021 dans sa belle intégrale des concertos de Beethoven pour CPO, avec le Symphonique de la Radio de Vienne, dirigé par Constantin Trinks. Ici, c’est une orchestration signée par Ronald Brautigam qui a été choisie ; le Néerlandais l’avait gravée lui-même pour BIS en 2009. Anna Khimochko propose une version enthousiaste de cette œuvre en trois mouvements. Elle enlève l’Allegro moderato initial avec brio, se jouant avec aisance des côtés démonstratifs, apporte au Larghetto la part de sérénité qu’il appelle, et souligne le caractère enjoué et dansant du Rondo final. 

Le Romain Muzio Clementi, qui a fait une grande partie de sa carrière en Angleterre, a composé plusieurs concertos, qui sont tous perdus, à l’exception du Concerto pour piano en do majeur, qui date des environs de 1780, lorsque le compositeur, qui était aussi un brillant interprète (on se souvient de son « duel » avec Mozart à la cour de Vienne en décembre 1781), effectua une tournée européenne. Le concerto a été sauvé grâce à une copie manuscrite de 1796. Clementi l’avait réutilisé deux ans auparavant pour sa Sonate pour piano op. 33 n° 3. En trois mouvements servis par une orchestration colorée (hautbois, bassons, cors, trompettes, timbales et cordes) qui rappelle un peu celle de Haydn, ce concerto suscite lui aussi l’enthousiasme d’Anna Khomichko, qui anime l’exubérance lyrique de l’Allegro con spirito, dessine l’ornementation solennelle mais aussi ouatée de l’Adagio, et offre au Presto final sa fougue juvénile.        

Composé à Salzbourg en décembre 1773, le Concerto n° 5 K. 175 de Mozart, que celui-ci affectionnait et qu’il joua aussi bien à Mannheim qu’à Paris ou à Vienne, est plein de fraîcheur et de vivacité dans son Allegro initial, avec une cadence au cours de laquelle la soliste peut s’épancher à loisir. De l’insouciance subtile traverse l’Andante dans une atmosphère qui s’apparente déjà à de l’art vocal, tandis que le final présente un caractère jubilatoire, dans une orchestration lumineuse (hautbois et cors par deux, trompettes, timbales et cordes). Envahie par la réjouissant jeunesse d’un compositeur de 17 ans, Anna Khomicko en traduit avec aisance l’éclat rythmique et la saveur.

Tout au long de ce programme qui la met en valeur, la pianiste transmet son ardeur et son alacrité en servant avec conviction ces trois œuvres, ici habilement réunies sous le titre Beginnings. Elle est accompagnée par l’Orchestre philharmonique de Heidelberg qui, s’il ne nous transporte pas d’allégresse, effectue, sous la baguette de l’Italien Mino Marani, son directeur musical depuis septembre 2024, une prestation propre. Pour Anna Khomichko, voilà trois radieuses cartes de visite musicales qui incitent à suivre l’évolution de son parcours futur.     

Son : 8    Notice : 8    Répertoire : 10    Interprétation : 8,5

Jean Lacroix

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