De précieuses rééditions Harmonia Mundi célèbrent les 500 ans de Josquin Desprez
Josquin Desprez (c.1450-1521) : Missa di Beata Vergine. Missa Pange lingua. Motets et Chansons. Theatre of Voices, direction Paul Hillier ; La Chapelle Royale, direction Philippe Herreweghe ; Cappella Amsterdam, direction Daniel Reuss ; Huelgas-Ensemble, direction Paul van Nevel ; Ensemble Clément Janequin, Ensemble Organum, direction Marcel Pérès ; Ensemble Les Éléments, Ensemble Clément Janequin, Dominique Visse. 1986-2018. Notice en français, en anglais et en néerlandais. Textes chantés en langue originale avec traductions en français et en anglais. 205.00. Un livre-disque de 3 CD Harmonia Mundi HMX 2904016.18.
Il y a 500 ans, disparaissait Josquin Desprez. Traversant infatigablement l’Europe d’une cour à l’autre, il fut l’un des fers de lance les plus actifs de la Renaissance franco-flamande, annonce la quatrième de couverture de ce luxueux livre-disque de trois CD, richement présenté, avec une abondante iconographie en couleurs et un travail éditorial soigné et très documenté, signé par le musicologue louvaniste Henri Vanhulst. Josquin Desprez fut tout simplement le plus grand en cette même terre franco-flamande autour de 1500. Vu la stature du personnage, on ne s’étonnera pas du fait que plusieurs labels lui aient consacré de nouveaux enregistrements pour évoquer son art à l’occasion de cette commémoration. Tel n’est pas le propos du présent projet, qui se présente comme une compilation de six gravures emblématiques parues chez Harmonia Mundi, rééditées depuis séparément, dont les couvertures sont reproduites en fin de présentation, permettant ainsi à chacun de bien en visualiser le souvenir.
On ne refera pas ici la biographie de ce géant musical de la Renaissance, on ne tentera pas non plus une comparaison de ces disques de la fin du siècle dernier avec les nombreuses publications survenues depuis lors. Le simple énoncé des interprètes suffit pour démontrer qu’ils étaient alors tout à fait désignés pour transmettre les splendeurs composées par Josquin Desprez. Le présent panorama qui s’attarde à un choix effectué dans la musique sacrée et dans le cadre de chansons est significatif d’un corpus superbe qui ne cesse d’émerveiller ceux qui le découvrent. Les deux premiers CD proposent chacun une messe que des motets complètent. La Missa di Beata Vergine, qui date de la dernière période créatrice de Josquin, est servie par le Theatre of voices de Paul Hillier, baryton et chef d’orchestre britannique qui, avec ce groupe, s’est beaucoup intéressé ensuite à la musique d’Arvo Pärt. L’invention mélodique qui parcourt cet office sacré est soulignée par une atmosphère à la fois recueillie, expressive et vibrante, avec une volonté lyrique investie et des voix virtuoses. Pour ceux qui découvriraient le compositeur, entamer sa connaissance par cette version est un gage de beauté sonore qui, sous des dehors de simplicité et d’évidence, se révèle en fin de compte bien plus complexe en termes de technique à laquelle les parties sont confrontées. Le témoignage mérite l’estime dans lequel il est tenu.
Sur ce premier CD, les motets qui suivent sont répartis entre trois ensembles. Quatre sont interprétés par la Chapelle Royale de Philippe Herreweghe qui déploie une palette de teintes diverses, plaçant l’Ave Maria publié en 1502 ou le Stabat mater dolorosa de 1519 dans un univers où la sensibilité va droit au cœur en raison de l’approche chaleureuse. Le Qui habitat, inspiré du Psaume 91, provient du disque « 40 Voix » du Huelgas-Ensemble de Paul Van Nevel où l’on trouvait notamment un magnifique Spem in alium de Tallis. Quant à la Cappella Amsterdam de Daniel Reuss, elle bénéficie de deux motets sur le premier CD, de trois autres sur le deuxième : si les voix sont splendides, la rhétorique est parfois moins convaincante, comme dans la Déploration sur la mort d’Ockeghem dont la plainte survolée paraît moins intériorisée. Mais ce sont là de minces réserves face à la qualité globale, qui éclate dans l’In principio erat Verbum de 1538. Avant les motets de ce deuxième CD, la Missa Pange lingua enregistrée par Marcel Pérès, l’Ensemble Clément Janequin et l’Ensemble Organum, fait le choix de l’inscription dans le contexte liturgique, avec une homogénéité dans le tempo, mais aussi des contrastes, notamment dans l’adoption de variations de plain-chant et de polyphonie. Trente-cinq ans après, cette parution fascine toujours par son ornementation.
Le troisième CD est consacré aux chansons et reprend le programme de 1988 servi par Dominique Visse avec l’Ensemble Les Éléments et l’Ensemble Clément Janequin. C’est un condensé de l’art profane de Josquin, représentatif de l’évolution stylistique de ces années-là, avec une mise en valeur de la littérature ; c’est un voyage diversifié qui invite souvent à se pencher sur les regrets ou à se plonger dans la mélancolie. Ceux qui ne possèdent pas ces gravures josquiniennes n’hésiteront pas à acquérir ce beau disque-livre dont la présentation élégante, l’intérêt éditorial et le niveau interprétatif sont le gage de riches heures au bénéfice de l’imagination musicale de ce grand maître de la Renaissance.
Son : 9 Notice : 10 Répertoire : 10 Interprétation : 8 à 10
Jean Lacroix