Des mille et une manières d’accommoder Offenbach

par

Telle la queue d’une comète, la célébration du bicentenaire de la naissance de Jacques Offenbach, en 2019, laisse derrière elle une poussière d’étoiles où quelques diamants scintillent encore. Ils démontrent -avec plus ou moins de brio et de pertinence- que l’auteur de la Belle Hélène s’accommode à toutes les sauces : burlesque, sage, ou opulente à travers ces trois enregistrements ...

Un mari à la porte. Opérette en un acte (1859). Patrizio La Placa, Henri Martel ; Marina Ogii, Suzanne ; Matteo Mezzaro, Florestan Ducroquet ; Francesca Benitez, Rosita.Orchestro del Maggio Musicale Fiorentino, Valerio Galli, dir.Enregistré en direct au Teatro del Maggio Musicale Fiorentino en février 2019 2019-47’12- livret en italien et anglais- textes en italien, anglais et français-chanté en français-Dynamic Maggio Musicale Fiorentino

Bien qu’elle ne soit pas intitulée bouffe, cette opérette en offre la quintessence. Par son sujet grivois bien sûr traité d’une manière naïve et ultra rapide et par son interprétation survoltée. Il n’en fallait pas moins pour faire pétiller cette farce représentée en 1859 alors que l’auteur dans sa maturité, âgé de 40, ans venait de triompher avec un Orphée aux Enfers d’une toute autre envergure. Le Maggio Musicale Fiorentino a eu la curieuse idée de coupler cette farce avec Cavalleria Rusticana de Mascagni, renouant d’une certaine façon avec la tradition de l’Intermezzo. Contraste saisissant. D’autant plus que les tentatives de ce mari qui veut entrer dans sa chambre nuptiale sont ponctuées d’ajouts cocasses, cris, rires et autres jeux de scène. Même l’accent italien apparaît comme une incongruité charmante de plus, au point que la trivialité des situations ou des dialogues se transforme en rebondissements surréalistes. Enfin, la prise de son live exacerbe manifestement la verve des protagonistes, ajoutant encore quelques épices à la partition. Cette dernière réserve de fort jolies surprises. L’Offenbach des grands jours brille dans le trio Ah ! malgré moi je tremble, parodie du Grand opéra comme dans l’amusant quatuor du rire ou la superbe Valse tyrolienne. Changements dynamiques, accélérations (marche rondo Tu l’as voulu Georges Dandin !) multiplient les hommages à Lully, Mozart ou Rossini. Ainsi du quatuor de Bonne nuit !, de la déploration parodique Pour votre honneur, oui, je m’immole où l’on est soudain déconcerté par l’irruption de moments de pure beauté musicale.

Son : 9 – Livret : 6- Répertoire : 9 – Interprétation : 9

Le financier et le savetier et autres délicesOpérette-bouffe en un acte (1856).Ghyslaine Raphanel, Aubépine ; Eric Huchet, Larfaillou ; Franck Thezan Belazor ; Frédéric Bialeki, Premier invité. Orchestre des Concerts Pasdeloup. Jean-Christophe Keck, dir.2007-66’58- présentation et textes en anglais et français-chanté en français- Association des Concerts Pasdeloup- universal music- 442 8964

Le Financier et le Savetier, opérette-bouffe en 1 acte, date de 1856. Il en existe également une version « romance » qui a les honneurs d’un commentaire dans le Dictionnaire des œuvres de l’art vocal (Bordas). En 1842 les Fables de La Fontaine étaient en vogue et six d’entre elles furent mises en musique à cette époque par Offenbach pour essayer de se faire connaître dans les salons. La ré-écriture ultérieure du livret par Hector Crémieux pour en faire une opérette tourne la fable en dérision, à commencer par le titre, interverti à dessein. Le propos assez cruel fait l’éloge de l’argent facile, d’une certaine trivialité, des jeux y compris de mots tel ce vers conclusif Fosse, fosse, fosse.../Faut se méfier du jeux ! Afin d’étoffer l’enregistrement sont présentés des extraits de Madame Favart, Les Bavards, Dragonette, L’Ile de Tulipatan, Fantasio, La Fille du Tambour Major. Le souci de respecter l’effectif orchestral d’origine présente l’intérêt de restituer un format sonore sans aucun doute proche de la volonté du compositeur et particulièrement favorable aux voix. Il faut souligner la diction parfaite des interprètes, leur élégance, leur style sans esbroufe. Probité qui ne nuit ni à l’efficacité de l’action, ni à l’émotion. Ainsi du Prélude de l’Acte II de Fantasio envoûtant de grâce et de mélancolie avec son mouvement de valse triste au violoncelle (instrument favori du maestro) ou encore la brillante ouverture de Madame Favart exposée avec beaucoup de clarté par le chef Jean-Christophe Keck, grand connaisseur d’Offenbach,.

Son : 9 - Livret : 9 - Répertoire : 8 - Interprétation : 9

Fables de la fontaine, orchestrées par Jean-Pierre Haeck. Karine Deshayes , mezzo-soprano ; Orchestre de l’Opéra de Normandie, Jean-Pierre Haeck, dir.2019-55’41- présentation et textes en français et anglais-chanté en français- Alpha classics 553

Les Six Fables de la Fontaine, bien que superbement interprétées par Karine Deshayes, contrastent par leur modestie originelle avec la tonalité symphonique générale du disque. Pages mineures contemporaines des débuts difficiles d’Offenbach, elles sont en effet pour l’occasion remaniées par Jean-Pierre Haeck dont l’orchestration est annoncée « en première mondiale » ! Sans que son nom figure sur la couverture du livret, ce qui peut égarer l’auditeur. Le résultat est impressionnant, parfois emphatique, toujours de belle facture. Mais ces petites fables n’en demandaient pas tant ! Simples mélodies destinées à répondre à la mode des Fables de La Fontaine que tout Paris se plaisait alors à réciter dans les assemblées familiales, Le Berger et la mer, Le Corbeau et le Renard, La Cigale et la Fourmi, La Laitière et le Pot au lait, Le Rat de ville et le Rat des champs, Le Savetier et le Financier semblent submergées par les chatoiements de l’Orchestre de l’Opéra de Rouen Normandie dirigé par Jean-Pierre Haeck. Les Ouvertures qui complètent le programme, plus propices à l’ampleur, sont rondement menées : Ouverture et « Valse du divorce » de Boule de neige (1871) rarement entendues, Ouverture et « C’est l’Espagne », des Bavards (1862), Ouvertures des Deux aveugles (1855), Madame Favart (1878), Monsieur Choufleuri (1861) agrémentées d’une Schüler Polka (1860) hétérogène. Tout est très bien joué, très bien chanté. Si bien que cet accommodement « à la sauce suprême », par son climat sonore, annonce bien plus le dernier Offenbach des Contes d’Hoffmann qu’il n’évoque le grand diable aux abois de l’époque des Fables, des maigres cachets de l’Opéra-Comique et des Salons : lorsque le jeune violoncelliste pâle et décharné, au summum de l’émotion musicale, s’affaissait brusquement afin que les belles écouteuses se précipitent pour le réconforter de mille gestes tendres, flacons de sels et mouchoirs de baptiste trempés dans l’eau glacée.

Son : 10 -Livret : 9-Répertoire :  6-Interprétation : 10

Bénédicte Palaux Simonnet

 

 

 

Vos commentaires

Vous devriez utiliser le HTML:
<a href="" title=""> <abbr title=""> <acronym title=""> <b> <blockquote cite=""> <cite> <code> <del datetime=""> <em> <i> <q cite=""> <s> <strike> <strong>

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.