Des voix d’outre-tombe
Benjamin BRITTEN (1913-1976)
The Turn of the Screw (Le Tour d’écrou)
Éric BARRY (ténor), Emily WORKMAN (soprano), Kathleen REVEILLE (mezzo-soprano), Diana MONTAGUE (mezzo-soprano), Rosie LOMAS (soprano), Dominic LYNCH (treble),Wykonanie Koncertowe, dir. : Lukasz BOROWICZ
DDD–2015–50’ 57’’ et 53’ 33’’–Textes de présentation en polonais et en anglais–
Sans mauvais jeu de mots, Le Tour d’écrou de Benjamin Britten constitue, d’une certaine manière, un tour de force musical. Basé sur une des plus étonnantes nouvelles fantastiques de Henry James publiée en 1898, l’histoire d’une gouvernante anglaise cherchant à assurer l’éducation de deux enfants en proie à d’inquiétants fantômes, il est écrit pour six voix (dont quatre voix de femme) et seulement treize instrumentistes. Et parmi ces derniers, il y en a un chargé de jouer tantôt du piano, tantôt du célesta. Le piano apparaît du reste dès le prologue et tient un rôle non négligeable dans cet opéra de chambre en deux actes créé au Festival de Venise en 1954, sous la direction de Benjamin Britten lui-même.
L’œuvre est formée d’une succession de seize scènes qui correspondent chacune à un des épisodes majeurs de la nouvelle de Henry James et qui sont associées chacune à un instrument principal (l’alto, le violoncelle, le basson, la clarinette, la flûte, etc.). Elles sont reliées les unes aux autres par un thème récurrent comprenant les douze notes et les douze demi-tons de la gamme, mais il serait tout à fait impropre de parler ici de partition ressortissant au dodécaphonisme. En réalité, ce thème est un cœur de tout un réseau de motifs et de couleurs sonores d’une incroyable richesse dramatique, qui expriment à merveille l’atmosphère surnaturelle dans laquelle baignent les personnages de l’opéra – des personnages étranges et ambigus à souhait, et dont on ne sait jamais trop s’ils rapportent des faits réels, s’ils projettent leurs troubles, leurs tourments et leurs illusions, ou s’ils sont des voix d’outre-tombe, des spectres errants et condamnés à errer jusqu’à la fin du monde. Et voilà pourquoi Le Tour d’écrou est un véritable opéra fantastique, un des plus beaux et des plus convaincants dans ce registre si difficile. Et voilà pourquoi aussi Benjamin Britten est un compositeur de génie, sans conteste le plus important compositeur d’opéras de la seconde moitié du XXe siècle. Ce disque, qui est l’enregistrement d’une représentation du Tour d’écrou au Philharmonic Concert Hall de Varsovie, le 28 mars 2015, est un pur joyau. Que tous les mélomanes se le disent. Y compris les plus rétifs à l’imaginaire.
Jean-Baptiste Baronian
Son 10 - Livret 10 - Répertoire 10 - Interprétation 10