Éblouissant miroir vénitien : la rhétorique baroque exaltée par Le Consort
Specchio Veneziano. Giovanni Battista Reali (1681-1751) : Sinfonie I, II, IV,IX, X, XII. Antonio Vivaldi (1678-1741) : Sonata prima RV 73 ; Follia RV 63 ; Sonata a violoncello solo en mi mineur RV 40 ; Sonata terza per due violini RV 68. Le Consort. Théotime Langlois de Swarte, Sophie de Bardonnèche, violon. Hanna Salzenstein, violoncelle. Justin Taylor, clavecin. Victor Julien-Laferrière, violoncelle. Mars 2021. Livret en français, anglais, allemand. TT 67’38. Alpha 771
Un miroir peut en cacher un autre. Il y a celui qui forme le projet de ce CD : « Specchio Veneziano met en miroir ces deux compositeurs, dont les œuvres nous offrent deux reflets riches et colorés de la sonate en trio vénitienne ». Et puisque le programme se penche sur leur opera prima, on ne peut s’empêcher de considérer aussi un clin d’œil à « Opus 1 », l’album inaugural du Consort qui en 2019 explorait le Premier œuvre de Jean-François Dandrieu. Alter ego dans le rétroviseur ; sorte d’allusion en écho ou de rappel subliminal.
Violoniste virtuose au Teatro San Fantin de la cité sérénissime, Giovanni Battista Reali est l’auteur de deux recueils dont le premier (1709), mêlant Sonates et Capriccios, fut aussitôt republié par Estienne Roger, le célèbre imprimeur d’Amsterdam. Le disque nous en propose la moitié, dont cinq Sonates annoncées en premier enregistrement mondial. Le Prete rosso y échoit d’une part plus modeste, constituée par la Sonata prima, mais aussi quelques pages magiques et suspendues : l’enchanteur Largo du RV 40, l’arachnéen Andante du RV 68 que ridulent Théotime Langlois de Swarte et Sophie de Bardonnèche, et le Larghetto RV 230 intégré par Bach dans son Concerto pour clavecin BWV 972, ici pudiquement égrené par Justin Taylor. La Follia conclusive fait pendant à celle de Reali qui ouvre le disque, décidément spéculaire à plus d’un titre, et elle ne lui cède rien en exubérance ; la comparaison des procédés stimule une captivante confrontation de chiralité.
On ne glosera pas sur l’interprétation, d’un accomplissement à la hauteur des enjeux, sans la moindre tavelure, sachant aussi s’abandonner aux moments diaphanes qui alimentent sans l’affadir le charme de cet album, tour à tour éblouissant et tendre. Victor Julien-Laferrière prête son concours aux instances concertantes prévues par Reali, et Hanna Salzenstein n’est pas en reste pour impulser et affermir le gainage rythmique. Lequel nous affole dans les irrésistibles élaborations sur la Follia (et dans ce cahier, Reali ne pâlit pas face au génie vivaldien !) dont les textures irradiantes, les audaces de tempo, l’imagination triomphante font une des plus remarquables contributions à cet exercice prisé de la rhétorique baroque. Entre terrain d’acrobaties et profusion d’images fractales, la célèbre mélodie des « Folies d’Espagne » s’offre avec le jeune quintette une prestation de haut voltage qu’on n’oubliera pas. Un disque intelligent et hédoniste, qui au plaisir de la découverte allie celui d’une démonstration tout à l’honneur de ses cinq valeureux musiciens.
Son : 8,5 – Livret : 8,5 – Répertoire : 9 – Interprétation : 10
Christophe Steyne