Enjôleuse anthologie du romantisme germanique, sur un récent orgue polonais nouveau au disque

par

Emotionality & Virtuosity. Felix Mendelssohn (1809-1847) : Prélude et Fugue en ut mineur Op. 37 no 1 ; Sonate en ut mineur Op. 62 no 2 ; Sonate en si bémol majeur Op. 65 no 4. Feliks Nowowiejski (1877-1946) : Méditation. Josef Rheinberger (1839-1901) : Sonate no 16 en sol dièse mineur Op. 175. August Freyer (1803-1883) : Fantaisie de concert en fa mineur Op. 1. Max Reger (1873-1916) : Variations et Fugue sur l’hymne national anglais. Ireneusz Wyrwa, orgue de l’église świenta Kazimierza de Nowy Sącz. Livret en polonais, anglais, allemand. Avril 2018. TT 68’52. Dux 1642

Il nous séduit diablement, cet album qui explore le romantisme allemand de ses racines à sa postérité, de Mendelssohn à Reger. Un répertoire souvent exploré, voire un topos de la discographie, et qui trouve ici une valorisation alléchante sous tous abords. Y compris une fastueuse prise de son. Dans une précédente anthologie à consonance italienne chez Dux (2012), Ireneusz Wyrwa nous avait révélé le Joachim Wagner de Siedlce enregistré peu après sa restauration de 2010. Il attire ici notre attention sur un autre orgue polonais, récemment construit (2015) à Nowy Sącz par les ateliers Mülheisen, qui reçoit pour la première fois les honneurs d’un disque.

Le livret insiste sur les capacités de nuance de la facture du XIXe siècle : « la possibilité d’utiliser de nombreux timbres à chaque niveau de volume et de varier le volume pour chaque type de timbres pava la voie pour une dynamique d’expression précédemment inaccessible aux organistes ». Cette ambition se concrétisa par la généralisation des volets amovibles en boîte expressive. Mais aussi le développement de la palette de jeux fondamentaux dont la combinaison permet une sonorité modulée : l’interprète cite en exemple le facteur Eberhard Friedrich Walcker (1794-1872) dont l’instrument de Schramberg et celui d’Hoffenheim, bien conservé, inspirèrent celui de l’église Saint-Casimir que nous entendons ici. Non démesuré (30 jeux) mais précis, dense, finement caractérisé pour chaque famille de tuyaux. Anches spongieuses, Principaux translucides, Gambes velues, Flûtes opalines, pour une délectable harmonie d’ensemble. Écoutez pour preuve le Skandinavisch de Rheinberger, à se pâmer ! On notera que le troisième clavier fait parler un seul registre, un Physharmonika 8’, régulé en vent par levier au pied : unique jeu de ce type dans le patrimoine polonais, et que l’on trouve utilisé dans la Méditation en mi majeur de Feliks Nowowiejski, exhalée comme d’un harmonium. Enregistrée pour la première fois, nous dit-on, cette œuvre fut primée en 1911 et éditée par la Procure Générale de Musique Religieuse d’Arras, conjointement à un Offertoire et un Angélus du même compositeur, présenté comme « Directeur du Conservatoire de Cracovie ». Agréable page à découvrir en marge des symphonies que l’on réécoutera en coffrets par Rudolf Innig (MDG) et surtout Jerzy Erdman (CPO).

À défaut qu’elle ne mentionne les registrations qui nous émerveillent tout du long, l’on remercie la notice de nous éclairer si abondamment sur les auteurs et leurs œuvres. Notamment le méconnu Karol August Freyer : né en Saxe mais qui demeura longtemps à Varsovie où il se distingua comme pédagogue dans une école qu’il avait fondée, puis à l’Institut de musique. En tant que compositeur, on lui doit seulement trois pièces d’envergure dont cet opus 1 qui rend hommage à la virtuosité invoquée par le titre du CD. Sous laquelle on rangera aussi ces célèbres Variations de Reger qui le concluent avec brio, prolongeant la thématique hymnique commune avec la dernière section de l’opus mendelssohnien en plage précédente. Malgré les difficultés surmontées avec adresse, l’interprétation ne cherche guère à épater (la Fantaisie de Concert semble un peu poussive et émoussée en regard de son potentiel rhétorique) mais plutôt à se concilier cet autre vecteur qui patronne ce florilège : l’émotion. Laquelle est bien représentée par cette Sonate de Rheinberger dont l’interprète façonne harmonieusement les étapes, même dans la Fugue terminale, essaimée avec une chaste retenue, fidèle à la pudeur de l’écriture polyphonique.

Une petite moitié du programme se consacre à Mendelssohn, au gré de pages emblématiques : un Prélude & Fugue, et deux des six Sonates, judicieusement choisies en ce qu’elles exploitent avec bonheur le souffle moelleux et les atours nacrés de cet instrument. Et tant pis si le contrepoint tend parfois à se confire dans un environnement aussi euphonique qu’eutrophique : on ne peut dire que la prestation manque de vigueur ou de clarté, toutefois la sonorité semble un peu prisonnière d’elle-même, macérant dans ses beautés (Allegro moderato) au détriment de l’impetus (Allegro maestoso e vivace). Que de délicatesse en tout cas, dans un Adagio et un Andante religioso en tulle et gaze, filigrané par le Holzharmonika, ou dans les volutes de l’Allegretto, tout acquis à l’onirisme. Et quel pédalier !, somptueux atlante épaulant une enjôleuse galerie de frise. Une esthétique revendiquée, et assumée avec tous les charmes imaginables, sur cette succulente console de świenta Kazimierza qu’on espère bientôt retrouver sous des micros aussi flatteurs, et sous des doigts aussi avisés.

Son : 9,5 – Livret : 9 – Répertoire : 8-10 – Interprétation : 9

Christophe Steyne

 

 

 

 

 

 

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