Kirill Petrenko et les Berliner Philharmoniker : le génie et l’excellence... avec le sourire !

par

Pour ce deuxième concert symphonique de sa saison, trois jours après l’Orchestre du Festival de Bayreuth, sous la direction d’Andris Nelsons, dans un programme entièrement consacré à Richard Wagner, la Philharmonie de Paris avait invité l’Orchestre Philharmonique de Berlin et son « nouveau » (les guillemets s’imposent, car s’il est en poste depuis deux ans, la situation sanitaire en a fait une période pour le moins à part, et c’était la première fois qu’ils venaient ensemble à Paris) directeur musical Kirill Petrenko.

Ils avaient choisi le même programme que pour leur concert d’ouverture à Berlin, 100 % allemand : Carl Maria von Weber, Paul Hindemith et Franz Schubert.

Le cor et les cordes introduisent l’ouverture d’Oberon avec une douceur rare, suave et enchanteresse. L’attention du public est acquise d’emblée, et ne baissera pas. La partie rapide est brillante à souhait, avec des phrasés merveilleusement travaillés et expressifs. Le solo de clarinette, repris par les violons, est un mélange de désolation et de tendresse du plus profond effet. Toute la fin de l’ouverture est d’une généreuse énergie, toujours canalisée, ample et joyeuse, jamais agressive. Et quand le niveau sonore est élevé, dans cette acoustique, et surtout avec un tel équilibre instrumental, il ne sature pas. Une entrée en matière idéale !

Heureuse idée que de poursuivre avec les Métamorphoses symphoniques sur des thèmes de Carl Maria von Weber, même si ces thèmes sont pour le moins transformés par Hindemith. Ils ne sont du reste pas les plus célèbres de Weber (ceux des 1er, 3e et 4e mouvements viennent de pièces pour piano à quatre mains, assez confidentielles ; celui du 2e mouvement vient de l’ouverture de Turandot, qui est l’une des moins jouées). De sorte que si, tout au long de ces Métamorphoses, nous percevons des thèmes « classiques », ils n’évoquent pas spécialement Weber.

Ces vingt minutes sont une véritable démonstration d’orchestre. À tel point que si la forme en quatre mouvements rappelle nettement une symphonie, la très riche orchestration pourrait être celle d’un concerto pour orchestre. À noter cependant que si les instruments à vent et les percussions sont mis en valeur dans des combinaisons extrêmement variées, il n’y a aucun solo de cordes. L’Orchestre Philharmonique de Berlin, éblouissant et virtuose, y brille de mille feux. Le niveau individuel est stupéfiant : chaque solo est un régal. Mais c’est surtout la musicalité d’ensemble qui fascine. Les musiciens se regardent, se font signe, se sourient... De la musique de chambre à plus de quatre-vingt, en quelque sorte...

Bien sûr, Kirill Petrenko donne la direction. Il semble dessiner, sculpter la musique. Ses gestes, d’une variété qui semble infinie, sont d’une extraordinaire souplesse. Les instrumentistes n’ont qu’à se laisser porter ; leur talent et leur sens artistique font le reste. Tout au plus, par moments, le chef doit-il corriger une nuance, pour conserver la transparence de la polyphonie ; et comme il est toujours à la limite de l’anticipation, et que les musiciens concernés réagissent au quart de tour, les auditeurs ne perçoivent pas le réajustement. Tout cela est saisissant.

En deuxième partie, il y avait la « Grande » symphonie de Schubert, surnommée ainsi d’une part pour la distinguer de la Sixième, également en ut majeur, et d’autre part, et surtout, pour insister sur ses dimensions : presque le double de toutes ses autres symphonies. Pendant longtemps, on lui a attribué le numéro 9, la Huitième étant l’Inachevée. Mais la Septième n’existant qu’à l’état d’esquisses, il arrive qu’on l’omette. L’Inachevée devient alors la N° 7, et la Grande la N° 8. Heureusement, entre ces sous-titres, leurs tonalités (respectivement si mineur et ut majeur), et le nombre de mouvements (2 et 4), la confusion est facile à éviter.

Nous sommes loin, avec Kirill Petrenko, de la gigantesque méditation philosophique qu’en donnait, avec ce même orchestre, Wilhelm Furtwängler il y a soixante-dix ans et plus. Si cette symphonie (D. 944), par ses dimensions, est à rapprocher des ultimes chefs-d’œuvre instrumentaux de Schubert (Quatuor D. 887, Trios D. 898 et 929, Quintette D. 956, Sonates pour piano D. 958, 959 et 960), elle a un caractère joyeux et optimiste que n’ont pas ses consœurs, dans lesquelles le désespoir et l’obsession de la mort ne nous lâchent jamais longtemps. Rappelons que Schubert n’entendit jamais sa dernière symphonie, qui a été découverte par Robert Schumann plus de dix ans après la mort du compositeur, et dont il confia la création à la baguette de Felix Mendelssohn, avant de lui consacrer un article dithyrambique où il emploie l’expression « divines longueurs » devenue tellement célèbre depuis.

Et, de fait, l’écoute de cette symphonie nous emmène dans une sorte de Paradis universel. Surtout avec cette approche de Kirill Petrenko, que l’on pourrait qualifier de consensuelle si ce mot n’avait une connotation un peu terne. Si en effet rien ne peut choquer dans l’interprétation du chef austro-russe, tout est admirable. Quand il nous force à tendre l’oreille, ce sont toujours des pianissimo qui conservent du corps. Quand il fait sonner l’orchestre avec éclat, c’est toujours à pleins poumons, mais avec maîtrise, sans dureté. Chaque solo instrumental nous subjugue, sans prendre le dessus sur ce qui précède et sur ce qui suit ; nous sentons que les exceptionnels Berliner Philharmoniker tirent leur fierté non de leur niveau individuel, mais de leur faculté à le mettre au service du collectif... c'est-à-dire de la musique.

Il serait tentant de parler de la « virtuosité » de Kirill Petrenko, car il possède une technique qui paraît sans faille. Mais alors, il ne faut pas oublier que le mot a la même racine que « vertu ». À aucun moment, sa gestique n’est démonstrative. Elle donne au contraire l’impression de toujours chercher la sobriété, ce qui ne veut pas dire, bien au contraire, la neutralité ou l’insensibilité. Kirill Petrenko n’en fait jamais trop, mais il a choisi des œuvres qui nécessitent de donner beaucoup. Alors il se donne, avec autant de générosité que d’humilité, porté par la musique. Quant à savoir qui, du chef ou de l’orchestre, porte l’autre, la question est vaine : rarement avons-nous eu ce sentiment d’une telle osmose.

La Philharmonie de Paris, le 4 septembre 2021

Pierre Carrive

Créditsphotographiques : Monika Rittershaus

Vos commentaires

Vous devriez utiliser le HTML:
<a href="" title=""> <abbr title=""> <acronym title=""> <b> <blockquote cite=""> <cite> <code> <del datetime=""> <em> <i> <q cite=""> <s> <strike> <strong>

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.