Pancho Vladigerov, volume 5 chez Capriccio : place au chant

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Pancho Vladigerov (1899-1978) : Chants populaires bulgares pour basse et orchestre ; Six Chants lyriques pour soprano et orchestre et ‘Lud Gidyia », ballade pour basse et orchestre op. 5 ; Quatre Chants pour soprano et orchestre op. 67 ; Six Chansons populaires bulgares pour soprano et orchestre, op. 56 ; Chanson pour l’aimée. Roumiana Valcheva-Evrova, Maria Ventsislavova et Evelina Stoitseva, sopranos ; Pavel Gerdjikov, basse ; Orchestre Symphonique de la Radio nationale bulgare, direction Alexander Vladigerov. 1970-1975. Notice en allemand et en anglais. Textes des chants en traductions allemande et anglaise. 85.31. Un album de deux CD Capriccio C8070.

En moins d’un an, le label Capriccio a ressuscité le répertoire de Pancho Vladigerov, compositeur vénéré dans sa Bulgarie natale, mais peu connu chez nous jusqu’à ces rééditions de gravures des années 1970 à 1975, un éventail de plus de trente disques parus alors chez Balkanton et dirigés par son fils, Alexander Vladigerov (1933-1993). Nous invitons le lecteur à consulter, notamment pour les aspects biographiques, les textes que nous avons consacrés aux quatre premiers volumes de la série, à savoir les concertos pour piano (17 octobre 2020), les œuvres orchestrales (18 décembre 2020 et 27 avril 2021) et les pages pour cordes (24 février 2021). Ce créateur prolifique, marqué par le postromantisme, dont l’inspiration est riche sur le plan mélodique, méritait bien cet intérêt prolongé. Un cinquième volume de la série vient de paraître, il est consacré à des pages vocales avec orchestre.

Vladigerov a travaillé dans les années 1920 à Berlin en tant que chef d’orchestre, pianiste et compositeur, en collaboration avec Max Reinhardt au Deutsches Theater. Pendant cette période, il a eu l’occasion de découvrir en concert une série d’œuvres vocales avec orchestre, notamment celles de Mahler, Richard Strauss, Schönberg, Berg ou Korngold. Il s’agissait pour certaines d’entre elles d’adaptations à partir de pages pour voix et piano. Vladigerov a travaillé de la même manière ; il a repris des compositions de son cru jusqu’à la fin de sa vie, démarche accomplie aussi pour des pièces destinées au piano ou pour de la musique de chambre. On lira à ce sujet plus d’explications dans la notice, bien détaillée comme les autres de la collection ; à elles seules, ces pages, signées par le musicologue et journaliste autrichien Christian Heindl, pourraient former un intéressant petit volume sur Vladigerov. 

Le premier CD est voué à deux partitions, à commencer par les onze Chants populaires bulgares, sans numéro d’opus global, les airs étant signalés comme un choix parmi plusieurs œuvres du parcours du musicien. Ce dernier a toujours tiré parti de poèmes d’écrivains bulgares ou d’airs folkloriques de son pays, sauf pour cette série écrite pour la scène, mais la notice est, pour une fois, un peu avare en précisions. C’est la basse Pavel Gerdjikov (°1938), soliste de l’Opéra national de Sofia, pédagogue et directeur d’opéra, qui se charge de ces pages variées à intérêt plutôt local. Le même chanteur, voix profonde, est plus attractif dans la brève Ballade ‘Lud Gidyia’ op. 5 sur un texte du poète Pencho Slaveikov (1866-1912). Elle évoque un personnage qui crée le trouble dans un village en jouant de la musique qui incite les habitants à danser au lieu de se consacrer à leur travail. Le côté satirique de cette page de 1917 est bien rendu. Initialement prévue pour voix et piano, cette ballade a été orchestrée cinquante ans plus tard. Vladigerov mettra dix ans de plus pour faire de même avec les Six Chants lyriques, qui font eux aussi partie de l’opus 5. Il s’agit de textes de la poétesse Dora Gabé (1886-1983) aux accents mélancoliques, évocateurs de la nuit, des rivages, d’un amour perdu, d’espoir et de sérénité. La soprano Roumiana Valcheva-Evrova, spécialiste de ce genre de répertoire, y met du cœur et de la sincérité. 

Le second CD, de courte durée (38 minutes) propose les Quatre Chants pour soprano et orchestre op. 67, directement orchestrés en 1974. Ces textes de Nikolaï Liliev (1885-1960), poète symboliste raffiné, inspirent à Vladigerov des couleurs impressionnistes mais aussi, comme le souligne Christian Heindl, quelque chose entre Joseph Marx ou Olivier Messiaen. La soprano Maria Ventsislavova (1843-2019), l’une des grandes voix du chant bulgare, qui s’est fait applaudir dans Wagner, Tchaïkowsky et plusieurs rôles verdiens, est très émouvante dans l’évocation de la quiétude du printemps, de la beauté du ciel bleu, de la lumière du matin ou de l’approche ultime de la vie. Ce cycle apparaît comme le plus parfait et le plus touchant du programme, il fait appel à une expressivité que manie la cantatrice avec un art consommé. On découvre encore les Six Chants populaires op. 56, confiés à la soprano Evelina Stoitseva, créatrice en Bulgarie de la Katerina Ismaïlova de Chostakovitch, et un petit bijou, A l’aimée, un poème chanté avec émotion ; on y retrouve Roumiana Valcheva-Evrova. 

On reconnaîtra à cet album un intérêt moins prioritaire qu’aux autres déjà parus de la série Vladigerov. Même si l’on est séduit par un lyrisme sincère, il est à craindre que l’attrait de ces œuvres risque de ne pas prendre une dimension méritée au-delà des frontières de la Bulgarie. Par ailleurs, on perçoit ici, plus que dans les autres volumes, les limites d’un son déjà ancien que les techniciens actuels, malgré toute leur habileté, ne peuvent améliorer que partiellement. De son côté, Alexander Vladigerov, à la tête de la phalange de la Radio bulgare, complice de tout ce projet, sert au maximum les partitions de son père, avec générosité. On notera que le premier CD comporte une erreur d’information : il annonce une œuvre orchestrale, parue précédemment, mais c’est bien les Six Poèmes lyriques de l’opus 5 que l’on entend.

Son : 6  Notice : 9  Répertoire : 7   Interprétation : 7,5

Jean Lacroix    

 

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