Goerne et Aimard à Bozar

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Le programme de cette soirée, soigneusement concocté par Matthias Goerne et Pierre-Laurent Aimard, était tout entier placé sous le thème de la finitude et du sens de la vie: des cycles de lieder, le plus souvent sévères voire sombres, qui interrogent le présent, le souvenir, la mort, l'au-delà. Les "Gellert-Lieder" sont parmi les pages les plus austères de Beethoven. Mais, ce soir, le baryton allemand sut sauver la mise par son talent de narrateur, et son lyrisme naturel eut vite fait d'arrondir les angles aigus de ces partitions sans concession. Ce dernier fut d'ailleurs bien aidé par l'accompagnement attentif et très inspiré du Français qui fit beaucoup dans l'impression de totale complicité qui se dégagea de leur prestation. A ce premier groupe succédèrent, sans interruption, les sombres "Gesänge des Harfners" de Schubert où le compositeur de l'Inachevée abandonne, le temps de ces trois pièces, son charme mélodique pour nous entraîner dans de sombres pensées. Ce fut ensuite le tour des célèbres et magnifiques "Quatre chants sérieux" de Brahms, l'un des testaments musicaux du compositeur du Requiem allemand. Complètement affranchi de l'influence que purent avoir sur lui un Hotter ou un Fischer-Dieskau dans le passé, Goerne nous proposa cette fois une vision d'écorché vif, dramatique et pourtant bien chantante. La respiration, si importante, fut gérée à la perfection, ce qui évita au chanteur l'asphyxie qui guette l'explorateur imprudent de ces phrases longues et complexes. On regretta un certain manque de douceur au début de "Ich wandte mich" que Kathleen Ferrier savait si bien y insuffler avec son art inimitable. Par contre, on fut agréablement surpris de le voir aborder mezza voce le 3e lied du cycle, "O tod, wie bitter ist du". La 2e partie fut plus éclectique et puisa quelques pépites au sein de divers cycles de Beethoven et Brahms, ainsi que chez Schubert. On retiendra avant tout un sublime Nachtstück de ce dernier, aérien et comme suspendu dans le temps, le bref moment de lumière apporté par son délicat "Frühlingsglaube", ou encore la beauté pure et si émouvante du "Lerchengesang" brahmsien. On ne saurait également être trop enthousiaste à propos des magnifiques O kühler Wald, Der Tod, das ist die kühle Nacht, Sommerabend et Mondenschein qui nous furent aussi proposés. Le seul reproche qu'on pourra faire reste encore et toujours la diction, très moyenne. En escamotant presque systématiquement les consonnes dures, Goerne fit perdre beaucoup de caractère à l'interprétation avec, pour résultat, un soupçon de monotonie heureusement compensée par un sens du conte toujours en éveil. Un coup de gueule, enfin, à propos d'un public indiscipliné, bien indigne du cadeau insigne -mais exigeant- offert par les deux musiciens: tout au long de la soirée, ce ne furent que toux, échanges verbaux peu discrets, bruyants mâchages de bonbons, sonneries de gsm, et autres bruits variés. Un crime, surtout lorsque ce comportement met à terre les atmosphères aux portes du silence patiemment et amoureusement ciselées par les musiciens. Et encore un petit conseil, aux organisateurs cette fois: pour l'amour du ciel, qu'ils choisissent un tourneur de page capable de lire une partition. Il est intolérable que l'incompétence du jeune homme choisi pour ce rôle discret mais fondamental ait pu mettre un artiste de la stature de Pierre-Laurent Aimard dans l'embarras. Du reste, cela ressemble de plus en plus à une tradition à chaque fois qu'on invite cet artiste dans notre capitale. Il y a quelques années, au studio 4 de la place Flagey, une tourneuse de pages dépassée par la complexité des oeuvres de George Benjamin jouées par le Français, obligea par trois fois ce dernier à sauver une situation rendue périlleuse par l'immobilisme incompréhensible de la jeune fille.
Bernard Postiau
Bruxelles, Palais des Beaux-Arts, le 26 octobre 2012

 

 

 

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