"Gounod sous les feux de la rampe"

par
Gounod

En parallèle avec la nouvelle production de La Nonne sanglante, l'Opéra Comique réalisait, en collaboration avec le Palazzetto Bru-Zane - Centre de musique romantique française, un beau colloque, en trois jours, dédié à l'oeuvre scénique de Gounod, avec présentation de chacun de ses douze opéras (hormis La Colombe, oubliée). Une manne de félicité pour une bonne cinquantaine d'admirateurs de l'auteur de Mireille, rassemblés salle Bizet à Favart, afin d'écouter les meilleurs spécialistes du Maître. Comme lors des précédents colloques auxquels j'ai assisté, la matière est supposée connue, et les intervenants abordent leur sujet sans introduction particulière. On est entre "pointus".
Pour l'après-midi de la première journée, le lundi 4, après le petit discours d'ouverture d'Olivier Mantei, directeur de l'Opéra Comique, on a beaucoup parlé de mise en scène, ou du moins ce que l'on entendait par ces mots au XIXe siècle. Michela Niccolai, coproductrice du colloque,  a décrit, exemples à l'appui, le "livret de mise en scène", qui indiquait les mouvements de scène, ainsi que la gestuelle. Ce livret passait d'ailleurs de maison d'opéra en maison d'opéra. Toujours sur le même sujet, Pauline Gérard nous a entretenus sur la conservation de ces livrets de mise en scène, en particulier dans la Bibliothèque Historique de la Ville de Paris (BHVP), fondée en 1911, dans le but de prêter des mises en scène pour de futures reprises. Il y en a 2282, dont 642 lyriques ! Tout sera bientôt numérisé. La seconde partie de la journée abordait enfin l'oeuvre de Gounod. Brièvement (trop ?), Agnès Terrier, dramaturge de la Salle Favart, nous entretint de ce charmant bijou qu'est Philémon et Baucis. Alexandre Dratwicki, du Palazetto Bru Zane (PBZ), abordait Roméo et Juliette par le biais de la scène du breuvage (ou du poison) à l'acte IV de l'opéra, et de son historique. Pointu sans doute, mais néanmoins passionnant. Etienne Jardin, responsable des publications et des colloques au PBZ, clôtura la journée en abordant La Reine de Saba, opéra mal-aimé, dont il tenta d'expliquer l'insuccès.

Le lendemain, la journée était complète, cette fois, et le programme, costaud. On commença par le premier opéra, Sapho, traité par Steven Huebner, auteur d'un livre sur Gounod, paru chez Actes Sud. Intervention fouillée, avec exemples musicaux, citant les commentaires de Berlioz lors de la création en 1851, et décryptant l'influence de la tragédie lyrique de Gluck sur le jeune compositeur. Grand berliozien, professeur honoraire à Oxford et à Cambridge, et préparant une étude complète des opéras de Saint-Saëns, Hugh McDonald parla de l'opéra-phare de la scène Favart en ce moment, La Nonne sanglante, dont la première s'est déroulée le 2 juin (voir ma chronique). Il en éclaira l'historique compliqué (le livret de Scribe, d'après Le Moine de Lewis, passa par Berlioz, David, Meyerbeer et Verdi avant d'aboutir chez Gounod), puis retraça le courant littéraire gothique. Il démontra comment Gounod parvint à unifier l'aspect fantastique du drame avec sa sensibilité religieuse (le sacrifice de soi de Ludolf, au début de l'acte V, est tout à fait chrétien). Sabine Teulon-Lardic, autre grande habituée de ces colloques, évoqua le premier opéra-comique de Gounod, Le Médecin malgré lui. L'approche était assez historique : elle s'attarda sur les sources du livret, et les emprunts à d'autres comédies de Molière. Mais elle détendit l'atmosphère en diffusant l'amusant sextuor de la consultation. L'après-midi débuta par une intervention de Clair Rowden, professeur à Cardiff, consacrée à Faust et à ses parodies. Certes, il y eut Le Petit Faust d'Hervé, mais également beaucoup d'autres, très oubliés, et qu'elle détailla à l'envi. La descendance littéraire du mythe ne fut pas oubliée, avec Le Fantôme de l'Opéra, de Gaston Leroux, et... la Castafiore d'Hergé ! C'est ensuite qu'intervint LE spécialiste de Gounod, auteur de la monographie de référence chez Fayard : Gérard Condé. Il s'interrogea sur l'aspect purement provençal de la partition de Mireille, sur la mise en scène de l'acte du Rhône (III) et sur le tableau de la Crau (IV), scène du feu après celle de l'eau. Fin de la journée sur Cinq-Mars, opéra tardif et peu connu, mais qui vient de connaître une éclatante résurrection grâce au PBZ, qui le monta et l'enregistra. PBZ représenté par Sébastien Troester, qui en aborda tous les aspects : grand opéra, drame lyrique, ou opéra-comique ? Quelle est la place exacte de l'important divertissement à l'acte II, Gounod fait-il du Gounod ? Intervention remarquable grâce à un orateur habile et très à l'aise.

Troisième et dernière journée, dédiée à deux opéras aussi peu connus que Cinq-Mars : Polyeucte et Le Tribut de Zamora. Le premier fut traité par Yves Bruley, historien et spécialiste des relations entre les religions et l'opéra. Il était donc tout indiqué pour parler du martyr cornélien. A la différence du dramaturge, Gounod ne s'attarde pas sur l'élément politique de la pièce, mais se concentre sur la relation du couple marié, et sa conversion. De toute évidence, sa propre crise conjugale de 1867 puis l'affaire Weldon jouèrent un rôle dans la gestation difficile de l'oeuvre. Si elle fut mal reçue et reste encore négligée, c'est probablement dû à son aspect trop "chrétien", et au peu de consistance dramatique des personnages (hormis peut-être Sévère). Depuis sa création en 1881, le dernier opéra de Gounod a toujours passé pour le plus raté, sinon pour le plus mauvais. Rémy Campos, professeur d'histoire de la musique au CNSMP a tenté, une fois encore, d'en découvrir les raisons. D'après les contemporains, l'oeuvre n'était qu'appareil décoratif, la musique ne servant qu'à illustrer la mise en scène, d'une pompe écrasante. En outre, le mélange de styles (grand opéra et opéra-comique) a déplu. On pourra bientôt s'en rendre compte : en effet le PBZ a programmé Le Tribut de Zamora à Munich, le 28 janvier 2018, et on en attend l'enregistrement.
Le scientifique munichois, Gunther Braam, collectionne les portraits de Gounod. Défilèrent ainsi daguerrotypes et photographies, dessins et gravures, lithographies et tableaux. Grâce à l'humour percutant de ce dernier intervenant, le colloque se termina par une note spirituelle des plus bienvenues, et qui mit tout le monde de bonne humeur.

Rendez-vous l'an prochain, pour un colloque Offenbach, à l'occasion d'une production de Madame Favart, qui sera bien chez elle à l'Opéra Comique !
Bruno Peeters
Paris, Opéra Comique, 4-6 juin 2018

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