Hélène de Montgeroult, sur un pianoforte carré d’Antoine Neuhaus

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Hélène de Montgeroult (1764-1836) : Onze Études pour la main droite, pour la main gauche ou pour les deux mains, pour pianoforte ; Six Nocturnes à voix seule avec accompagnement de pianoforte ; Sonate en la mineur pour forte piano avec accompagnement de violon op. 2 n° 3. Marcia Hadjimarkos, pianoforte ; Beth Taylor, mezzo-soprano ; Nicolas Mazzoleni, violon. 2022. Notice en français. 61.50. Seulétoile SE09. 

L’intérêt pour Hélène de Montgeroult s’est développé depuis 2006, lorsque le musicologue français Jérôme Dorival a publié à Lyon, chez Symétrie, une biographie consacrée à cette compositrice d’origine aristocratique qui échappa à la guillotine lors de la Terreur, en improvisant sur La Marseillaise devant le tribunal révolutionnaire, avant d’être la première femme à devenir professeur de piano au Conservatoire de Paris. Ces deux dernières décennies, plusieurs pianistes se sont intéressés à ses nombreuses Études, écrites entre 1788 et 1812 et publiées en 1816 dans son Cours complet pour l’enseignement du fortepiano. Bruno Robillard (2006), Nicolas Stavy (2009), tous deux pour Hortus, Edna Stern (2017, Orchid Classics) ou Clare Hammond (2021, BIS) en ont proposé une sélection.

Le présent enregistrement, sous-titré « portrait d’une compositrice visionnaire », consiste en une approche différente. Dans une esquisse biographique insérée, Jérôme Dorival précise : Aucun enregistrement de la musique de Montgeroult sur un piano de son temps n’ayant encore été réalisé, il était donc urgent de le faire, et le choix d’un pianoforte carré français du début du XIXe siècle se révèle très judicieux, parce qu’il est vraiment contemporain de sa musique et parce que les destinataires de ses œuvres jouaient ce genre de pianos. C’est à cette tentative d’authenticité que s’est attelée la Française d’origine américaine Marcia Hadjimarkos, qui a été l’élève de Jos van Immerseel au milieu des années 1990, et s’est spécialisée dans les instruments anciens. Son programme d’Études de Montgeroult recoupe un peu celui de Clare Hammond (quatre morceaux), mais, parmi les onze pièces qu’elle propose, trois sont enregistrées pour la première fois. 

C’est un pianoforte carré de 1817 d’Antoine Neuhaus, natif de Vienne, installé à Paris en 1809, où il exerça jusqu’en 1827, qui a été choisi. Comme l’explique Matthieu Vion, son restaurateur en 2021, il n’existe que deux instruments de la production de Neuhaus qui soient connus. On lira la description par Vion de celui qui a été retenu ici (photographie en couleurs), les détails concernant le meuble, la mécanique et les registres. On découvrira, grâce aux détails fournis dans une longue note par Marcia Hadjimarkos, qu’il dispose de quatre pédales activant quatre registres, à savoir la pédale forte, le jeu de luth, le jeu céleste et le jeu de basson, et les considérations que l’artiste en déduit quant à son propre choix, notamment pour l’utilisation de la pédale. La variété d’effets et de couleurs que l’on peut obtenir en associant un toucher sensible aux différents registres du piano carré permettent de produire une riche palette sonore et d’évoquer une multitude d’atmosphères et d’émotions

Le mélomane est ainsi transporté dans un univers expressif, débordant de noble vitalité, que Marcia Hadjimarkos sert avec une souplesse de chaque instant. Les études choisies montrent l’éventail de ces « leçons », à destination des deux mains, de la main droite ou de la main gauche, Montgeroult, selon son habitude pédagogique, ajoutant une précision quant à chaque contenu : « pour bien accorder le chant avec l’accompagnement » ; « pour les notes pointées » ; « pour la difficulté du ton », etc. L’interprète signale encore que les études sont souvent écrites dans un style plus romantique que classique, préfigurant ainsi les pages de compositeurs comme Schubert, Mendelssohn, Schumann ou Chopin. Les propositions de Clare Hammond, pour BIS, sur un Steinway qui soulignait les audaces harmoniques, et celles de Marcia Hadjimarkos, dans sa recherche d’authenticité, feront bon ménage côte à côte dans une discothèque.

L’intérêt de cet album consiste aussi dans les compléments aux études. Montgeroult a souvent évoqué l’art du chant dans son Cours complet et était attirée par l’art vocal italien. Pourtant, sa production dans ce domaine est des plus minimes : les six Nocturnes à voix seule avec accompagnement de piano, la plupart sur des textes de Métastase autour de l’amour, sont gravés ici pour la première fois. Si l’on y ajoute la Sonate en fa mineur pour fortepiano avec accompagnement de violon qui figure en fin d’album, on aura fait le tour de sa musique de chambre, autre pan, limité mais non négligeable, qui rappelle notamment que cette aristocrate, qui tenait salon parisien, joua souvent avec des violonistes, comme Giovanni Battista Viotti. La mezzo-soprano Beth Taylor et le violoniste Nicolas Mazzoleni sont de dignes partenaires de Marcia Hadjimarkos.

Son : 9  Notice : 10  Répertoire : 9  Interprétation : 10

Jean Lacroix

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