Clare Hammond et l’audace harmonique  des Etudes d’Hélène de Montgeroult

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Hélène de Montgeroult (1764-1836) : 29 Etudes extraites du Cours complet pour l’enseignement du piano-forte. Clare Hammond, piano. 2021. Notice en anglais, en allemand et en français.70.32. BIS-2603.

J’ai été stupéfaite à la découverte de ces études du Cours complet. Elles sont non seulement d’une qualité comparable à la musique de compositeurs comme Felix Mendelssohn et Robert Schumann, mais elles sont également stylistiquement si avancées qu’elles remettent en question notre perception des périodes « classique » et « romantique ». Ainsi s’exprime la pianiste Clare Hammond dans la notice qu’elle signe elle-même pour cet album BIS consacré à 29 des 114 Etudes d’Hélène de Montgeroult. Composées entre 1788 et 1812, elles ont été publiées en 1816, en trois volumes, sous le titre de Cours complet pour l’enseignement du piano-forte. Clare Hammond a déjà ouvert les portes de sa découverte, le 9 novembre dernier, au cours d’un entretien avec Pierre-Jean Tribot, auquel le lecteur se référera. Clare Hammond fait un choix sélectif dans ce Cours, pan important du catalogue de la compositrice, où l’on trouve neuf sonates (intégrale par Nicolas Horvath chez Grand Piano -article de Christophe Steyne du 7 avril 2022), trois fantaisies, des nocturnes pour voix et piano et d’autres pièces. 

Petit rappel biographique. La Marquise de Montgeroult, musicienne précoce, reçoit des leçons de Dussek et peut-être de Clementi et se produit dans des salons de l’Ancien Régime. Pendant la Révolution, après des aventures à Londres, puis à Naples où le couple est emprisonné, son mari décède en prison. De retour en France, Hélène de Montgeroult est incarcérée sous la Terreur. Elle aurait échappé à la guillotine en éblouissant le tribunal par des improvisations sur la Marseillaise. En 1795, elle est la première femme à devenir professeur de piano au Conservatoire de Musique de Paris, et compose. Elle ne se produit que dans son salon privé. Elle quittera l’enseignement quelques années plus tard, ne connaîtra pas de carrière publique comme interprète et finira ses jours en Italie. 

Clare Hammond souligne l’importance des travaux du musicologue français Jérôme Dorival, qui a publié en 2006 une biographie d’Hélène de Montgeroult (Symétrie) qui fait autorité. Elle précise qu’alors que cette musicienne n’avait que huit ans de moins de Mozart, son audace harmonique, la complexité de ses textures, l’importance accordée aux tonalités mineures plutôt que majeures et l’utilisation d’idiomes baroques sont des caractéristiques que nous associons explicitement au romantisme. Une telle prescience est extraordinaire et fait d’elle un véritable précurseur. Pour nous en persuader, avec une grande force de conviction, Clare Hammond évoque l’hommage à Bach et au baroque dans certaines études, que Montgeroult commença à composer pour son élève Johann Baptist Cramer (1771-1858).

Les 29 pages choisies sont toutes nanties par la compositrice d’une précision concernant leur contenu. Exemples : n° 36 en fa majeur « pour apprendre à lier le chant », n° 51 en fa mineur « pour parcourir le clavier d’une manière liée », n° 66 en do mineur, pour la main gauche, « pour les basses fortes à contretemps », n° 97 en sol mineur « pour l’énergie du jeu », n° 104 en sol dièse mineur « pour la difficulté du ton dans un mouvement agité »… Clare Hammond n’hésite pas à rapprocher de Schubert la n° 74, pour la main gauche, « sur les octaves » ou, de Brahms et de son opus 122 n° 5, écrit huit décennies plus tard, la n° 106, étude des deux mains « qui doivent chacune faire une partie de chant et d’accompagnement ». Ou encore, de Chopin, la n° 110, « pour chanter d’un style large », qui est clairement un nocturne. Field, Mendelssohn, Schumann, Reger et les autres romantiques, qui cultiveront les études, ont-ils eu connaissance du Cours complet, véritable ouverture vers une musique plus expressive ? En tout cas, les Mendelssohn frère et sœur ont reçu des cours d’une disciple de Montgeroult, Marie Bigot (1786-1820), et le père Wieck a pu l’utiliser dans son enseignement.

Clare Hammond nous convainc sans peine de la qualité et de l’importance de ces pages, qui lui ont demandé une année d’étude intensive pour approcher la sonorité et l’équilibre qu’elle recherchait à travers le Steinway qu’elle a utilisé. Il m’a fallu du temps pour marier la souplesse de son toucher avec les nuances harmoniques et l’expression exacerbée que nous associons à une époque plus tardive. Originaire de Nottingham, la pianiste, qui a étudié à Cambridge et à Londres, s’est fait une spécialité de partitions peu courues, deux autres albums BIS l’ont démontré, comme celui qui est intitulé Variations, où voisinaient Lachenmann, Birtwistle, Adams, Copland et Szymanowski. 

D’autres pianistes ont inscrit quelques Etudes de Montgeroult dans un récital. C’est le cas de Bruno Robilliard (2006) ou de Nicolas Stavy (2009), chaque fois pour Hortus, ou d’Edna Stern en 2017 (Orchid Classics), tous trois convaincants. Il y a des recoupements avec le choix de Clare Hammond, cette dernière ajoutant une série de pièces à celles qui sont sélectionnées dans les albums précités. La pianiste anglaise, en présentant un panorama ciblé, dépasse la seule destination pédagogique et confirme que la compositrice est un maillon essentiel de la génération Mozart/Clementi et de celle de Schumann, Mendelssohn et Chopin. Qui tentera un enregistrement de l’intégralité de ce Cours complet ? 

Son : 10  Notice : 10  Répertoire : 9   Interprétation : 10

Jean Lacroix 

Clare Hammond : à propos d’Hélène de Montgeroult

 

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