Heures exquises dans un salon français  avec Reynoldo Hahn

par

Reynaldo HAHN  (1874-1947) : Complete Songs. Tassis CHRISTOYANNIS, baryton ; Jeff COHEN, piano. 2019 - Notice de  présentation en anglais, français, allemand - Textes chantés  en français et anglais - 4 CD Bru Zane

Ce riche coffret regroupe, sous le titre «Complete Songs», 107 des 125 mélodies composées par Reynaldo Hahn (en sont exclues notamment les parties pour chœur des Etudes latines). Né au Venezuela, élève de Massenet, ami de Proust et de Sarah Bernhardt, Reynaldo Hahn représente une figure majeure de la Belle Époque (même s’il vécut jusqu’en 1947). Membre de l’école française de la première moitié du XX ème siècle, il reste toutefois dans l’ombre des grands novateurs Debussy, Fauré, Ravel. Éclectique (auteur de musique de chambre d’une rare élégance, d’opérettes, opéras, mélodies) il excella dans la direction d’orchestre comme dans l’interprétation de ses propres mélodies au grand bonheur de ces salons mondains dont Proust a laissé d’inoubliables tableaux.

Nombre de ses œuvres vocales font déjà l’objet d’ enregistrements de valeur (Gérard Souzay, Susan Graham, Felicity Lott, François Le Roux – avec Jeff Cohen déjà au piano - ou Anne-Sofie von Otter parmi beaucoup d’autres); le label Maguelone lui a consacré de son côté une grande part de son catalogue. En dépit des outrages du temps et de ceux de la technique, les gravures sonores laissées par le compositeur en personne s’accompagnant au piano permettent de saisir une autre réalité : l’élan d’une voix franche portée par une pulsion intérieure, une diction claire sans affectation… toutes qualités qu’il expose dans son ouvrage «Du chant» (1920). Ce tempérament joyeux teinté de mélancolie que l’on devine dans sa voix et ses portraits explique peut-être ses affinités avec Mozart auquel il consacra une opérette et, certainement, la faveur des Salons autant que celle de ses amis. 

A l’écoute de ces quatre CD, de plus d’une heure chacun, on est d’abord frappé par une sensibilité rare à toute forme de poésie, milieu naturel qui semble lui être aussi indispensable que l’air et l’eau. Ensuite, par la diversité du choix des poètes allant des contemporains à Charles d’Orléans, des plus célèbres comme Victor Hugo ou Verlaine aux plus obscurs, Augustine- Malvina Blanchecotte ouvrière-poète (sic) ou Guillot de Saix. Enfin, par un cosmopolitisme qui se traduit tantôt  par des allusions hispaniques, orientalistes  (Au Pays musulman d’Henri de Régnier) ou encore le recours à l’italien et l’anglais (Five little songs).

Mais surtout, Reynaldo Hahn incarne une dimension du génie français qui n’est pas souvent soulignée : cette élégance particulière qui consiste, au terme de rigoureux efforts, à réaliser une œuvre secrètement mûrie, sans jamais se prendre au sérieux. Un exemple parmi d’autres : le choix du poème de Gabriel Vicaire, Cimetière de campagne. Cette légèreté grave qui caractérise l’esprit national depuis François Villon, Ronsard, Lully, Molière, La Fontaine, Beaumarchais... imprègne l’esthétique de Reynaldo Hahn. Si la profusion n’exclut évidemment pas des partitions plus faibles, superficielles ou complaisantes (Fêtes galantes de Verlaine entre autres), c’est un charme singulier qui se dégage de l’ensemble.

Composée pour des tessitures variées, cette ‘’presqu’intégrale’’ est ici confiée au seul Tassis Chrystoyannis, baryton bien connu dans le monde baroque, ce qui nous vaut une diction travaillée, des «r» roulés, des accents emphatiques (à la limite du vérisme -Sous l’oranger) ou des effets en voix de tête parfois cocasses...  tandis que le pianiste Jeff Cohen, parfait connaisseur du répertoire français, parvient à maîtriser avec succès un instrument assez lourd et peu réactif (dont l’origine n’est pas précisée).  

Sans ordre chronologique précis chaque disque présente un programme-récital. Le cycle Etudes latines (d’après Leconte de Lisle) qui ouvre la série, à l’opposé du terme d’«études» qui suggère sérieux voire austérité, se rattache à l’inspiration bachique. Il s’amuse de jeux sonores archaïques, d’allusions néo antiques et sollicite des effectifs variés allant de solistes mezzo-soprano, ténor, basse aux chœurs. Écho des scènes peintes par Puvis de Chavannes ou Maurice Denis, la musique s’attache à rendre les accents gracieux du poète sans craindre la modalité. Une réussite originale qui côtoie les Six épigraphes antiques de Claude Debussy et autres Mirages fauréens. Le pouvoir de suggestion, le ton enchanteur et triste des six chansons en dialecte vénitien qui suivent, rassemblées sous le titre Venezia, est devenu le cheval de bataille de nombre de chanteurs. Puis, avec les « Chansons grises », composées à l’âge de quinze ans, l’auteur aborde les sublimes pages de Verlaine maintes fois mis en musique. En Sourdine prend ainsi des couleurs graciles de stations thermales. L’Heure exquise la bien nommée convient mieux à des voix plus légères. Relevons encore «Les papillons couleur de neige» (Fleur de mon âme -Théophile Gautier) qui voltigent avec plus de prosaïsme que ceux d’ Ernest Chausson. Enfin, La Dame au camélia, sur des textes du prolifique Willemetz se rattache, elle, plutôt à l’opérette. 

Les mélodies fameuses se concentrent sur le CD 2 : Le « Premier Recueil » s’ouvre avec Si mes vers avaient des ailes et Rêverie (Victor Hugo) qui chaloupe et s’anime. La si délicate Enamourée comme Seule sont alourdies ici d’une grandiloquence chantournée tandis que Nuit (Théodore de Banville) également mis en musique par Chausson offre un bel exemple du pouvoir suggestif de l’accompagnement... jusqu’à cette Infidélité où il semble même boiter ! Aux Fêtes galantes on préférera les coloris populaires des Trois jours de vendange (Alphonse Daudet). Pour accompagner Les Cygnes d’Armand (et non Arnaud) Renaud, parnassien ami de Mallarmé et Saint-Saëns, le piano s’enfonce dans les profondeurs tandis que la voix se tend. La belle ligne mélodique D’une prison rend hommage à Verlaine avant que la série des Rondels ne s’aventure dans des domaines plus sophistiqués. Ainsi du sentiment de dilution de L’Air, des dissonances néo antiques de La Paix  ou encore  des orages pianistiques qui déferlent sur Les Étoiles, précédant les traits plus espiègles de L’Automne (T. de Banville) sans oublier l’allusif poème de Charles d’Orléans Quand je fus pris au pavillon dont la beauté équivoque justifie le succès. Jean Moréas inaugure le CD 3 avec «Les feuilles blessées». Le troisième poème Quand reviendra l’automne avec ses feuilles mortes permet à Reynaldo Hahn de déployer une émotion dépouillée où le piano semble pleurer. Du «Second Recueil» se détache l’élégance de Sur l’eau (Sully Prudhomme), Les Fontaines (Henri de Régnier) comme les audaces harmoniques et l’étirement rythmique de Ma jeunesse (Hélène Varesco). La grâce envoûtante d’A Chloris répond admirablement à celle du poème de Théophile de Viau et annonce la spontanéité du CD 4 avec ses Five Little Songs (Robert Louis Stevenson). Auparavant, le «Volume Trois» aura rassemblé des poèmes épars dont un Marchand de marrons oubliable,  une Vocalise- Etude (Souvenir de Constantinople) qui pèse son poids de baklavas et «Neuf Mélodies retrouvées». Revenons au balancement de My ship and I, à la franchise d’ A Good Boy, et surtout au dernier titre I know you love me not (Mary Robinson) dit comme une confidence. Les interprètes trouvent là  le ton juste, l’émotion contenue, la vérité du cœur.

Bénédicte Palaux Simonnet

Son 8 - Livret 9 – Répertoire 10- Interprétation 8

 

 

 

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