Rudolf Schock, interprète du lied

par

Franz Schubert : Die schöne Müllerin. Rudolf Schock, Gerald Moore au piano /enregistrement de novembre 1958 + Auf dem Wasser zu singen /Nacht und Träume /Der Musensohn avec Adolf Stauch au piano / enregistrement du 10 juin 1959. Reprint : 2015. Livret en allemand et en anglais. Sans le texte des lieder. Durée : 75’19. RELIEF CR 3006. / Liederabend I : Robert Schumann : Dichterliebe op.48. Enregistrement : 20 au 23 janvier 1957 + Myrten op.25 : N.1 Widmung /N.3 Der Nussbaum /N.7 Die Lotosblume + lieder de Franz Schubert, Johannes Brahms et Hugo Wolf avec Adolf Stauch au piano / enregistrements de juin et septembre 1959. Reprint : 2018. Durée : 78’06 : Liederabend II : Richard Strauss : Huit lieder avec orchestre avec Wilhelm Schüchter et un orchestre lyrique (indéterminé). Enregistrement du 1er décembre 1957 + 4 lieder avec piano + lieder de Wolfgang Amadeus Mozart, Franz Schubert et Hugo Wolf avec Adolf Stauch au piano /enregistrements de juin et septembre 1959. Reprint : 2018. Durée : 66’40. Livret en allemand et en anglais avec le texte des lieder. 2 CD RELIEF CR 3010.

Le 8 juin dernier, Jean Lacroix rendait compte dans ces colonnes d’un coffret de 11 CD de la firme Hänssler consacré à Rudolf Schock interprétant en traduction allemande cinq opéras italiens. J’en profite pour attirer l’attention sur deux publications de la firme suisse Relief nous révélant le chanteur comme interprète du lied. Selon le musicologue Karl Schumann, Rudolf Schock modifia l’image que l’on se faisait du ténor. Car le contre-ut provenait d’une silhouette élégante, sportive, élancée et dynamique et non d’un colosse épais dont l’apparition prosaïque donnait une tournure mensongère aux élans juvéniles qu’il évoquait dans son chant. Très rapidement, l’on remarqua qu’il avait dans la voix ces larmes si célèbres, si recherchées que l’on réserve d’habitude aux ténors italiens, ce qui aurait fait dire à Mario Del Monaco qu’il était le seul ténor allemand à avoir l’italianità dans la voix.

Et ceci se perçoit dans le premier CD comportant l’un des trois grands cycles de Franz Schubert, Die schöne Müllerin, enregistré à Berlin en novembre 1958 avec l’un des pianistes-accompagnateurs les plus réputés dans ce répertoire, Gerald Moore. Originellement publié en LP par EMI-Electrola, cette gravure d’excellente qualité sonore nous révèle, dès les premières mesures de Das Wandern, un respect des nuances et un habile ritenuto avant d’aborder le dernier couplet, alors que le piano suggère le cheminement laborieux par sa pesanteur. Am Feierabend (n.V) et Mein ! (n.XI) mettent en évidence une fluidité du phrasé, entraînant naturellement un rallentando sur « Un da sitz ich » et sur « Durch den Hain ». Halt ! (n.III) tient du véritable jeu scénique avec l’interpellation « Ei willkommen », tout comme Ungeduld (n.VII), emporté par un élan passionné vers l’affirmation « Dein ist mein Herz ». Parfois l’aigu a tendance à devenir fixe dans Letzte Hoffnung (n.XVI) et Die böse Farbe (n.XVII) ; mais ce défaut est estompé par les demi-teintes tristes de Trockne Blumen (n.XVIII) et de Tränenregen (n.X) ou par la mi-voix dans le grave de Der Jäger (n.XIV). Et le recueil s’achève sur un méditatif Der Müller und der Bach (n.XIX) laissant affluer de tendres inflexions et un Des Baches Wiegen lied (n.XX) rasséréné, irisant le sol dièse 3 du deuxième couplet. En complément de ce recueil s’ajoutent trois lieder célèbres de Schubert, de facture tout aussi excellente, gravés à Berlin le 10 juin 1959 avec Adolf Stauch, l’accompagnateur régulier du ténor. Auf dem Wasser zu singen renoue avec la limpidité d’émission d’un timbre qui s’allège pour contraster chaque séquence, tandis que Der Musensohn affiche une bonhommie gaillarde qu’appesantit un Nacht und Träume à la ligne sans fin, quitte à user de la voix blanche par d’ineffables « holde Träume » !

Le double CD a tout autant d’intérêt avec les deux programmes de récital tels qu’ils avaient été publiés par EMI Electrola en 1959. Réalisés à nouveau avec le pianiste-chef d’orchestre Adolf Stauch rencontré à Braunschweig en 1937, le premier inclut une remarquable interprétation du cycle de Robert Schumann, Dichterliebe op.48, enregistré à Berlin du 20 au 23 janvier 1957. D’un suave piano enveloppant Im wunderschönen Monat Mai, l’on passe à un Aus meinen Tränen spriessen à fleur de lèvres, quand Wenn ich in deine Augen seh (n.IV) tient de la confidence et que Hör ich das liedchen klingen (n.X) et Am leuchtenden Sommermorgen (n.XII) confinent au murmure. Loin de l’aboiement habituel, Ich grolle nicht (n.VII) est livré mezzoforte à tempo retenu, tandis que Das ist ein Flöten und Geigen (n.IX) et Aus alten Märchen winkt es (n.XV) revêtent un aspect narratif jouant sur les contrastes. Mais au rang de référence absolue, il faut élever Ich will meine Seele tauchen (n.V) et Und wüssten’s die Blumen, die kleinen (n.VIII) par la clarté de la ligne de chant et l’intelligence du phrasé. Les trois extraits de Myrten sont de la même veine avec un généreux Widmung modelant de fines demi-teintes dans le «Du bist die Ruh » médian, alors que la voix caresse la ligne de Der Nussbaum avant de s’amenuiser dans « Es flüttern » et que Die Lotosblume est recouverte d’un crêpe asphyxiant.

Le second CD est essentiellement consacré à Richard Strauss et présente d’abord quatre lieder accompagnés par Adolf Stauch en septembre 1959. Dans l’opus 49, Waldesseligkeit met en évidence un art du phrasé magistral lui faisant atteindre un sol bémol 3 pianissimo et une série de ré bémol 2 tout aussi décharnée, quand Junggesellenschwur est lardé par une ironie mordante un brin misogyne occasionnant un saut de tessiture du si bémol 3 au mi 2. Sur un souffle inépuisable, Die Nacht op.10 n.3 s’ouvre comme un éventail de couleurs que vivifie Ach weh mir unglückhaftem Mann op.21 n.4 avec sa bravade gouailleuse. Quant aux huit lieder avec orchestre dirigés par Wilhelm Schüchter le 1er décembre 1957, ils allient la noblesse de ton de Freundliche Vision op.48 n.1 filant le sol 3 de « Friede » et de Traum durch die Dämmerung op.29 n.1 avec sa tenue pianissimo sur « Licht » à la séduction de Ständchen op.17 n.2 et de Ich trage meine Minne op.32 n.1. Heimliche Aufforderung op.27 n.3 nous rappelle par ses envolées expansives que Rudolf Schock fut un Bacchus d’Ariadne auf Naxos exceptionnel, abordé à Braunschweig à l’âge de …vingt-trois ans avant d’être sacré par Karl Böhm à Salzbourg et à Vienne. Et les célèbres Morgen op.27 n.4, Allerseelen op.10 n.8 et Zueignung op.10 n.1 sont énoncés avec une simplicité d’où émane naturellement l’émotion.

Ce double CD comporte en outre trois mélodies de Mozart chantées sans la moindre emphase par un Tamino adulé qu’applaudirent Vienne, Berlin, Londres ou Amsterdam ; s’y ajoutent cinq lieder de Schubert, dont un méditatif Im Abendrot et un suave Ständchen. Les dix lieder d’Hugo Wolf convainquent surtout par l’intériorité douloureuse qui affleure de Verbogenheit, d’Anakreons Grab ou de Verschwiegene Liebe, tandis que Gesellen lied et Heimweh ont une franchise un peu oratoire que corrige la sympathique gaillardise de Der Musikant ou de Der Rattenfänger. Les quatre pages de Brahms laissent apparaître un haut medium fixe dans Die Mainacht ; mais Feldeinsamkeit n’est qu’impalpables demi-teintes face aux relents populaires dynamisant Sonntag et Heimkehr.

En résumé, une somme mélodique de la part d’un interprète que l’on assimile davantage au lirico spinto de l’opéra et de l’opérette qu’au lied, même si ses programmes du printemps 1949 en Australie en incluaient près de cent-vingt !       

Paul-André Demierre

Son : 9 Répertoire : 10  Livret : 7 Interprétation : 9

 

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