Hommage à Jean Guillou (deuxième partie) : « Souvenirs d'ivresse et de vie »

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Le légendaire organiste Jean Guillou était un professeur hautement respecté et recherché des jeunes talents. Notre compatriote Etienne Walhain, organiste-titulaire des grandes Orgues Ducroquet et Merklin de la Cathédrale Notre-Dame de Tournai, a pu travailler  pendant 10 ans aux côtés du grand musicien. Il a accepté de livrer son témoignage à Crescendo-Magazine.

Une figure qui respire l'intelligence et l'amitié ; un âge mûr qui a la grâce de la jeunesse ; le visage d'un oval plein et fort ; les joues longues, bien assises sur un large menton qui finit en rondeur indulgente ; une grande bouche, aux coins un peu relevés par l'habitude et le goût du sourire, bouche aimable et faite pour aimer ; la lèvre inférieure ardente, généreuse et sensuelle ; de beaux yeux, attentifs et doux, calmes et pénétrants, plein d'esprit et de caresse (...). Rien d'affecté, pas ombre de prétention, et l'air naturellement au-dessus de toute petitesse.

Dans cet hommage précis et docte rendu à Saint-Evremond, André Suarès nous dessine le visage d'un être hors du temps, d'un esprit qui n'a eu de cesse de combattre la déraison. Ce croquis physique et psychologique me fait penser à mon cher Maître Jean Guillou, qui s'y serait très certainement retrouvé si j'avais eu encore le temps de partager un moment avec lui...

Ma rencontre avec Jean Guillou remonte à 1998, j'étais alors dans un tourment musical et je n'arrivais pas à me défaire d'un carcan et d'un dogme qui faisait « dans mon esprit » office d'Evangile.  Une immense solitude découlait inexorablement de ce quotidien combat, jusqu'à cette soirée de Juin 1998. Après l'écoute d'un concert retransmis sur les ondes, je découvris l'orgue (même si cet instrument faisait partie de ma vie depuis ma plus tendre enfance), jamais je n'avais entendu « orgue » si opulent et pétrifiant. Ce magicien qui opérait me fut cité sous le nom de Jean Guillou.

Je pris donc le chemin de l'église Saint-Eustache à Paris pour le rencontrer, et après avoir échangé quelques mots dans la nef, il m'invita à la tribune pour assister à la messe du dimanche. J'en suis évidemment ressorti bouleversé et prurit de questionnement.

Tout naturellement j'ai suivi son enseignement à Zürich et ensuite à Paris, nous étions une dizaine d'étudiants engoncés dans un monde puissant et savions intrinsèquement que ces moments seraient gravés à jamais dans nos mémoires. J'y ai rencontré des personnalités musicales et des amitiés qui perdurent depuis cette époque. Jean Guillou disait souvent qu'il était heureux de voir ses élèves unis par la même fougue, la même passion et le même amour des arts.

Il nous arrivait de croiser Jean Guillou dans les rues de Zürich après les cours, nous l'invitâmes une fois à pique-niquer dans un parc et nous visitâmes une exposition sur Petrarque. Jean Guillou nous fit ce jour-là une visite détaillée de cet immense poète italien.

En 2006 il me proposa un récital à l'église Saint Eustache, comme beaucoup de ses proches élèves, cette invitation était signe d'une reconnaissance artistique mais surtout d'une confiance en la nouvelle génération.

Souvent je me rendais à Paris, dans son appartement de la rue de l'Arbre Sec et ensuite à la rue Saint-Jacques, où nous discutions musique mais également vie d'artiste, vie intime et littérature. Jean Guillou m'a fait connaître Julien Gracq, Saint John Perse et l'année dernière Paul-Jean Toulet dont nous lisions des passages entiers.

Il avait découvert chez moi, dans ma bibliothèque, un livre sur « Le goût des larmes au XVIII siècle » d'Anne Coudreuse, il faisait montre d'un tel intérêt que ce fut l'un de ses cadeaux idoines aux visites parisiennes (dont les chocolats et les bières belges qu'il aimait tant déguster)

En 2010, j'ai joué son 3ème concerto pour orgue et orchestre à cordes en création belge, ces moments de travail à Paris (ponctués de repas dans son restaurant japonais favori situé juste en dessous de chez lui), de discussions, d'échanges de partitions et de manuscrits étaient source de vitalité, de désir, de force musicale et parfois même de nuits blanches, notamment lorsque Jean Guillou me donna à Madrid, lors d'un festival d'orgue, sa nouvelle cadence deux semaines avant le concert...

Mon dernier souvenir avec lui date d'il y a 3 semaines, il m'avait laissé un message sur mon répondeur par rapport au disque que j'avais enregistré à la Cathédrale de Tournai, comprenant entre autres deux de ses œuvres. A son habitude, Jean Guillou était enthousiaste, affable et attendait ma prochaine visite, qui était programmée pour le lundi 28 janvier 2019.

Jean Guillou n'a pas seulement éclairé de son regard bleu, profond et démiurge, le monde musical ; il l'a littéralement pulvérisé et porté à son empyrée,... il était et restera Maître, Jean, un père qui a suscité chez moi l'ivresse et la vie...

Texte écrit par Etienne Walhain. La rédaction de Crescendo - Magazine lui adresse ses plus vifs remerciements.

Le site d'Etienne Walhain : www.etiennewalhain.com

Crédit photographique :  François Guillot 

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