A Genève, la venue de Tan Dun, compositeur-chef d’orchestre

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Dans le cadre de sa saison symphonique, le Service Culturel Migros reçoit pour la première fois le compositeur cantonais Tan Dun en tant que chef d’orchestre. L’on a beaucoup parlé de lui en décembre 2006, au moment où le Met de New York assumait la création de son ouvrage en deux actes, The First Emperor, avec Placido Domingo dans le rôle de l’Empereur Qin. Et pour trois concerts à Genève, Lucerne et Zürich, il dirige la formation de son pays natal, l’Orchestre Symphonique de Guangzhou qui, par ailleurs, s’était déjà produit en Suisse en janvier 2015.

Le programme commence par l’une des premières pages orchestrales de Stravinsky, Feux d’artifice op.4, datant de 1908. Par une vrille brillante, le discours est emporté vers un sommet percutant proclamé par les cuivres, d’où se répand un flux beaucoup plus lyrique que poivrera la reprise du début, aboutissant à une effervescence paroxystique.

Puis le chef propose l’une de ses compositions, Adieu ma Concubine, basée sur le célèbre film de Chen Kaige primé en 1993 par la Palme d’Or du Festival de Cannes. Dans une soyeuse tenue d’apparat jaune vif et une coiffure minutieusement élaborée, apparaît une artiste de l’Opéra de Pékin, Wenqing Lian, suivie d’un pianiste néerlandais spécialisé dans la musique contemporaine, Ralph van Raat. La première est image de bonté, douceur et beauté aux prises avec l’amour, alors que le clavier symbolisera la vaillance du guerrier Xiang Yu par un jeu percussif bartokien recourant aux effets de clusters avec cordes pincées par les doigts mais laissant affleurer sporadiquement une veine mélodique chaleureuse.

 Moi qui suis peu sensible aux musiques ethniques, je me laisse émouvoir par le jeu théâtral de la soliste, violent dans la danse du sabre, incantatoire face à une divinité funéraire ; mais comment parler de chant lorsque la sonorité émise par ce filet de voix, immédiatement submergé par une orchestration redondante, tient du miaulement de chat ou du feulement d’une tigresse affamée ?

En seconde partie, Tan Dun nous convie à la découverte d’un autre compositeur chinois, Ren Tongxiang, considéré comme un virtuose d’un instrument à vent propre à son pays, la suona, une sorte de galoubet nasillard avec pavillon en laiton. Et c’est la jeune Wenwen Liu qui en joue avec une rare maestria pour présenter Cent oiseaux volent vers le Phénix, une pièce datant de 1953, dont l’accompagnement a été arrangé pour grand orchestre.

Confrontée à cette volière souvent stridente, comme apparaît bien sage la deuxième Suite de 1919 que Stravinsky tira de de son ballet L’Oiseau de feu. Face à une formation comportant des registres fort disparates, la baguette de Tan Dun a au moins le mérite de créer d’emblée une atmosphère mystérieuse que suggèrent les registres graves ; mais la faiblesse des flûtes et hautbois peine à faire danser le féérique volatile, quand le phrasé des violons rigidifie la Ronde des Princesses. Il faut en arriver à la Danse infernale de Katschei pour que s’imposent les cuivres et percussions qui ne font qu’une bouchée de la phalange des cordes. Néanmoins, le basson rétablit l’équilibre en chantant la Berceuse, avant de livrer passage aux quatre cors qui proclament allègrement le Finale. Et c’est encore à son propre catalogue d’oiseaux que Tan Dun emprunte ses deux bis en technicolor !

Paul-André Demierre

Genève, Victoria Hall, le 25 janvier 2019

Crédits photographiques : Tan Dun

 

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